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Tiercé de Fantastiques par Roth, Gardiner et Jordan

Ces trois nouvelles versions de la Fantastique par autant de chefs emblématiques du moment – dont une à marquer d'une pierre blanche – valent aussi pour l'art du chant français de et .

Tuons le suspens tout de suite pour ce qui concerne la Symphonie fantastique : des trois propositions de , et , c'est ce dernier avec son qui remporte la mise, non seulement face à ses deux concurrents, mais au sein de la discographie des dernières décennies. Dans cette œuvre parmi les plus rabâchées du répertoire, Roth arrive à faire un miracle. Il réussit là où il n'avait obtenu jusqu'alors qu'un succès mitigé, dans sa première version de 2009 (en concert à la Côte Saint-André, Les Siècles Live) ou dans son récent Harold en Italie (Harmonia Mundi). Cette fois, il donne du sens à chaque inflexion, pour que l'attention portée sur le détail aux accentuations, aux sonorités, aux rythmes, s'inscrive dans une unité supérieure. Le festival de couleurs et de tempi qu'il impose accroche l'oreille, fascine sans donner le tournis, car il y a un cap, une conception d'ensemble, un souffle. L'enregistrement en studio dans une salle bien réverbérée permet d'atteindre une perfection de mise en place, sans qu'on ressente de perte de tension alors que les sessions se sont étalées sur deux journées. La persistance et le travail de (très) longue haleine payent, et le cent-cinquantenaire de la mort de Berlioz (dans lequel cet enregistrement s'inscrit officiellement) tient sa grande version de la Fantastique.

En complément, l'ouverture des Francs-Juges surclasse également le reste de la discographie, y compris le révéré Colin Davis, par son sens du drame où les explosions percussives colorent sans sonner clinquant. Seul reste hors concours dans une interprétation géniale en public de 1941 avec le , où le chef pousse le sens du théâtre jusqu'à l'incandescence.

La captation vidéo de et l' en concert à l'Opéra de Versailles ne manque pas d'arguments, et fournit un complément au récent coffret Berlioz Rediscovered (Decca). Enregistrée en concert et donc moins analytique, plus naturelle que la version de Roth, elle a de vraies qualités de verve et d'engagement et une typicité française qu'on a pu entendre aussi avec la Chambre Philharmonique et Emmanuel Krivine (Alpha).

Ce concert a surtout deux points forts pour le rendre attractif. D'abord le cadre magnifique de l'Opéra de Versailles, rehaussé par le fait que les musiciens jouent devant la reconstitution d'une grande toile, Un palais de marbre rehaussé d'or, peinte par le décorateur de l'Opéra de Paris Pierre-Luc-Charles Cicéri en 1837 et devant lequel Berlioz avait donné un « concert monstre » le 29 octobre 1848, soit 170 ans presque jour pour jour avant celui de Gardiner. À l'époque, la IIe République avait 8 mois et le concert avait été une grande réussite mais il s'agissait d'un événement philanthropique pour les musiciens, pour lequel Berlioz avait consacré trois semaines de dur travail et ne toucha pas un centime. Sans doute déçu, il ne l'évoqua même pas dans ses Mémoires.

Surtout, le DVD vaut pour la captation de dans La Mort de Cléopâtre et le Monologue de Didon des Troyens, programme pour lequel elle fit forte impression au Festival Berlioz le mois précédent et à la Philharmonie de Paris le lendemain. Quelle diction, quelle autorité, quel sens du théâtre ! On se prend à écouter avec attention le texte de la cantate, et c'est à un mini-opéra auquel on assiste, la chanteuse bénéficiant du sens dramatique hors pair de Gardiner. Le final est grand comme l'antique. Avouons avoir tremblé pour Anneke Scott, fort exposée dans sa partie de cor dans la Chasse Royale et Orage extraite des Troyens, mais l'instrumentiste s'en sort magnifiquement et avec toute la poésie propre à ces difficiles cuivres anciens.

On part enfin en Autriche avec , également en concert avec son enregistré dans l'acoustique chaude de la salle du Musikverein. La Fantastique est complétée de sa suite Lélio. On peut noter que le concert a été donné le 11 novembre 2018, soit le jour du centenaire de l'armistice de la Première Guerre mondiale, avec de beaux solistes français, en récitant, et . Mais le 11 novembre n'a de signification que pour les Français, les Autrichiens ayant signé leur armistice le 3 novembre 1918 avec l'Italie. Quoi qu'il en soit, la rencontre d'un compositeur « aux trois-quarts allemand » (selon Berlioz lui-même), d'un son viennois et d'une baguette suisse n'accouche pas d'un miracle.

Si Jordan avait convaincu en version de concert avec l'Orchestre national de l'Opéra de Paris en juin 2014, on ne retrouve pas ici la flamme dont il avait fait preuve alors (et qui manquera malheureusement à ses Benvenuto Cellini et Troyens ultérieurs). C'est juste une interprétation de plus. Pour Lélio, on aurait aimé pouvoir dire que et sa gouaille légendaire sauvent la partie de récitant mais ce n'est malheureusement pas le cas, le ton est solennel et n'a pas la typicité romantique espérée. En revanche, cet enregistrement sera sauvé de l'oubli par les interventions de mais surtout de . Dans la ballade du pêcheur, ce dernier fait merveille. Quel timbre doux et enchanteur, quel ravissement ! Il faut chanter cette ballade dans les récitals, surtout comme il le fait !

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