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Sokhiev face au Sacre

L'année du Centenaire du Sacre du printemps n'a pas encore commencé mais la vague des parutions s'est déjà amorcée. Ainsi, l' publie cet album hybride à la fois CD et DVD ou se côtoient deux lectures du Sacre du printemps par Tugan Sokhiev.

Les orchestres français ont toujours honoré  cette partition, créée à Paris, en 1913. Ainsi  les deux premiers enregistrements de l'histoire sont à mettre au crédit de phalanges parisiennes : l'Orchestre du Gramophone sous la baguette de et l' (renommé pour l'occasion Orchestre symphonique) avec le compositeur en personne. Depuis ces albums pionniers c'est un véritable feu d'artifice à Paris et en régions : avec l' (Decca), avec l'Orchestre national de l'ORTF (Montaigne), et avec l' (Erato et Philips), et l' (DGG), Alain Lombard avec l' (Erato) puis l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine (Audivis) ou encore et l' (Pierre Vérany), sans oublier d'autres lectures de concerts éditées avec plus ou moins de soins (on pense à un live de avec l' savaté par un son miteux). Cela étant, à l'exception de la lecture de Pierre Monteux pour Decca et celle fondatrice et enragée de , toutes ces interprétations font très pâle figure dans une discographie barrée par tant de références magistrales.

Avec son fini râpeux et ses couleurs très vertes, l'orchestre toulousain possède un potentiel à même de rendre la radicalité instrumentale fauve et barbare du Sacre. Malheureusement,  Sokhiev en reste à une conception bien construite mais trop placide et attentiste comme si le Sacre du printemps était seulement une fresque orchestrale bien mise. Ce Sacre est celui d'un vieux chef nostalgique de sa vie, pas celui d'un jeune démiurge.  Dans l'absolu, cette vision édulcorée a déjà été débroussaillée par de nombreux chefs (, , Sir Colin Davis, ), mais ces derniers dirigeaient des phalanges d'un tout autre niveau technique et pouvaient se perdre dans les nuances et les beautés instrumentales de leurs musiciens. Qui plus est, Sokhiev peine à habiter le début de la « Seconde partie », dirigeant à la barre de mesure, un orchestre concentré mais sans séductions particulières ; alors qu'il surexpose des cuivres précis mais envahissants et des percussions trop martiales.  Des deux lectures proposées en CD et DVD, on avoue préférer celle captée en vidéo, plus contrôlée et surtout mieux enregistrée, même si la réalisation vidéo est très scolaire et besogneuse.

En complément, Sokhiev offre la suite de l'Oiseau de feu. On a souvent pesté dans ces colonnes contre l'absence d'intérêt de cette suite qui casse l'élan narratif de la partition. Le chef dirige ces épisodes comme une succession de tableaux isolés. Les tempi, globalement trop lents, enlisent les épisodes rêveurs comme la « Ronde des princesses » ou la « Berceuse » ou s'emballent dans une débauche grossière de décibels  à l'image du « Finale ».  Pire, l'Oiseau de feu est un scanner impitoyable pour les carences de l'orchestre avec des cordes aigres et ses pupitres de vents inégaux (le hautbois est atrocement aigre).

Comme avec beaucoup de disques orchestraux actuels, on parie que cet album saura combler les attentes égotiques des mécènes et des familles des musiciens, mais dans l'absolu, cet album vient atterrir dans le ventre mou de la discographie. Certes, ce disque est plus présentable que le précédent album du chef, parangon de médiocrité, mais on attend toujours de voir en Sokhiev, le grand chef visionnaire que l'on nous promet…

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