Marie Chouinard magnifie les corps et donne vie aux dessins d’Henri Michaux
Au Théâtre de la Ville, première en France de la version désacralisée, par la chorégraphe québécoise Marie Chouinard, du Magnificat de Bach traversé par la joie primitive des corps exultants ; puis Henri Michaux avec la reprise de Mouvements, toute en incarnations graphiques vibrionnantes.

Pendant que les musiciens d'un orchestre lointain accordent leurs instruments, la création Magnificat démarre tout en douceur, dans la pénombre, sur les échauffements des danseurs, les essais de lumière et de son des techniciens. Puis, d'un coup, les corps quasi nus, couleur chair, surmontés de hautes coiffes rappelant des profils altiers égyptiens antiques ou encore de nobles peuples Massai d'Afrique noire, se découpent en ombres chinoises.
D'emblée, la symbiose avec la puissance musicale du Magnificat de Bach est totale.
Les corps exultent. Une joie païenne jaillit jusque sur les visages ouverts, les bouches extatiques, les yeux écarquillés. Solos, duos, scènes ritualisés de groupe, c'est une forme organique ondulante mouvante et démultipliée qui évolue vivement sur le plateau. Les individualités jaillissent, comme lors de la rencontre ontologique entre l'Homme et la Femme. Puis l'unité se recompose, auréolée des coiffes d'or, symbole du pouvoir ecclésiastique sécularisé. L'énergie est déployée, l'espace magnifié, à la hauteur de l'œuvre musicale.
La reprise de Mouvements, sur des dessins d'Henri Michaux, pièce de 2011, est épurée et extrêmement graphique. Sur une scène nue et blanche, avec pour fond un mur de toile blanche, noire des dessins d'Henri Michaux, entrent et sortent dans un continuum d'énergie les danseurs tout de noir revêtus. Ils traduisent dans leurs corps la succession des graphes-encre de Chine du poète comme autant de haïkus. Peut-être d'une manière trop systématique. Car on se prend au jeu d'identifier dans les dynamiques des corps les dessins reproduits.
Ce n'est que lorsque l'on se dégage de l'observation de ce principe de construction que l'on peut alors prendre plaisir à participer au jeu débridé des associations, compositions, hybridations moléculaires vibrionnantes du « Mouvement » chorégraphique de l'artiste, irrigué en permanence par le flux de musique métal de Louis Dufort. C'est comme si la calligraphie s'était détachée des projections sur la toile et prenait vie en libérant sous nos yeux une armée de graphes incarnés en mouvement.
La pièce se clos sur la lecture en off du texte de Michaux, qui nous permet de savourer jusqu'au bout l'osmose entre l'écriture à fleur de peau et la danse infiniment fusionnelle des corps virtuoses, jusque dans une dernière illumination visuelle.















