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Mstislav Rostropovitch et le violoncelle « Duport » : objets inanimés avez-vous donc une âme ?

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A musicien exceptionnel, instrument (forcément) exceptionnel… Nous allons tenter de vous raconter comment tels objets inanimés sont devenus des entités propres dans ce monde de la musique. Mstislav Rostropovitch est entré dans l’Histoire par son talent, sa générosité et ses engagements forts, mais aussi avec un violoncelle emblématique.

Notre dossier : Cordes et archet

 
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Il ne viendrait à l'esprit de personne de désigner un tableau, par le nom de son acquéreur. Universellement reconnu comme l'œuvre de tel peintre, on parle bien d'un Dali, d'un Van Gogh, ou encore d'un Picasso. Or il semblerait que certains instruments de musique fassent partie des rares objets qui puissent être dépossédés du nom de leurs créateurs. Ainsi est-il étonnant de constater que certains « bouts de bois assemblés », au regard du commun des mortel, deviennent déterminants dans la vie d'un homme, d'un musicien. Il se trouve que les instruments de grands maîtres luthiers tels Stradivari ou Guarneri sont devenus des « Oïstrakh » ou « Kreutzer », quand ils ne portent pas le nom illustre d'un compositeur, en référence à une œuvre créée justement en hommage, comme « Le Leopold Auer », « Le Paganini », « Le Viotti » ou encore « Le Mahler ». Sans parler des peintres qui ont vu leur nom associé à un violon, comme « le Turner », et pourquoi ne pas rêver sur les noms des « Lever du Soleil » ou « Le Bonjour », à l'évocation desquels nous imaginons tous un vernis étonnamment flamboyant ; et n'oublions pas le plus mystérieux de tous : « Le Messie » !

La plus grande partie des créations d'Antonio Giacomo Stradivari, dit Stradivarius (1644-1737) ont été commandées, de son vivant, par des têtes couronnées d'Europe. Ainsi, les instruments de l'emblématique Quatuor de Madrid pour le compte de la Cour d'Espagne ; mais c'est auprès des musiciens, de son vivant et par eux encore, après sa disparition, que le grand Maître de Crémone établira sa notoriété et connaîtra la consécration. Il faut savoir que, jeune apprenti luthier admis dans l'atelier du Maître Amati avec un bagage de dessinateur en architecture, cela lui conférait déjà un statut plus prestigieux que la plupart de ses congénères apprentis arrivés à l'age de douze ou treize ans sans connaître autre chose que la vie de l'atelier. Il appliquera des concepts de construction que tous les luthiers, aujourd'hui encore, s'efforcent de copier, reproduire ou approcher.

Au bout d'une vie de 93 ans, le bel Antonio nous laisse quelque 700 instruments (estimation actuelle) d'un patrimoine qui dépasserait les 1500. Il faut dire que certains ont connu des destins improbables et tout bonnement incroyables : comme d'être inhumés avec leur propriétaire ou encore, soi-disant pour être protégés de l'envahisseur, enterrés dans un jardin. Sans parler des vandales qui en ont mis au poteau d'exécution comme exutoire… (De grands restaurateurs ont eu à effectuer des travaux sur des instruments présentant, par exemple, quarante impacts de plomb sur la table ou un fond de violon), et sans oublier aussi des personnages hystériques qui ont, par simple vice ou jalousie, subtilisé des pièces magnifiques pour leur « brûler les ailes » (relire notre chronique sur Les Tribulations d'un Stradivarius en Amérique de Fréderic Chaudière) ou encore les épisodes mouvementés de l'histoire du Kochanski de Pierre Amoyal.

Par chance, certains instruments sont à l'abri dans des musées ou dans les coffres de collectionneurs (un riche Taïwanais en possèderait près de trente), et fort heureusement, de grands mécènes font en sorte de mettre ce patrimoine à disposition de ceux qui savent le faire vivre sur scène. Cet acte de propriété leur permet parfois d'acquérir le droit de rebaptiser ces instruments, au même titre que certains luthiers du passé, pour être à la hauteur des grands noms cités plus haut, ayant acquis leur notoriété sur de simples spéculations.

Ce Stradivarius de 1711 n'échappe pas à la règle ; il offre la particularité d'être un témoin du temps et c'est sous le nom d'un de ses illustres propriétaires qu'il est reconnu dans le monde entier. Il Est le « Duport », patronyme de Jean-Pierre Duport (1741-1818) violoncelliste réputé, frère aîné de Jean-Louis, autre brillant violoncelliste qui laissa de nombreuses études, variations et ouvrages techniques pour l'instrument. Comment, pourquoi, il en devient propriétaire presque cent ans après sa création ? Nous ne connaissons pas vraiment l'histoire de cette acquisition.

Par contre, on sait que cet instrument commence sa carrière au Concert Spirituel en 1761. Plus tard, premier violoncelle solo de l'Opéra de Paris, Jean-Pierre Duport a l'honneur de jouer avec Ludwig van Beethoven deux sonates du compositeur. Le fils de Jean-Pierre Duport le vend en 1843, après la disparition de son père, pour la somme astronomique de « 22 000 francs or » à un autre instrumentiste et compositeur aussi célèbre, Auguste-Joseph Franchomme (1808-1884). Celui-ci développe la technique d'archet qui marque l'école française du violoncelle. Il est ensuite entretenu par Jean-Baptiste Vuillaume, cet artisan qui révolutionne la lutherie en instituant les manufactures dans ce domaine et qui ne peut s'empêcher de se l'attribuer pour établir une sorte d'étalon lui permettant de fabriquer, en série, au moins trois mille exemplaires.

Lors d'un concert privé aux Tuileries, Napoléon insiste pour essayer l'instrument … Quelques égratignures sur les éclisses sont encore visibles, laissées dit-on, par les éperons de l'empereur : témoignage historique, sacrilège … Ensuite ce violoncelle passe entre les mains de différents collectionneurs, tel le Baron Knoop en 1892 et est revendu à John S. Phipps en 1906, puis à Horace Havemeyer en 1927, et parvient aux Etats-Unis, en 1968, entre les mains d'un violoncelliste amateur, Gerald M. Warburg. Il faut attendre 1974, suite au décès de ce dernier propriétaire pour que l'instrument se retrouve entre les mains du musicien de grande renommée qu'est . Accompagné d'Etienne Vatelot, son luthier et ami, il devait s'assurer de son authenticité et évaluer son état de conservation et de jeu. Ils apprennent que l'héritier n'avait pas le droit de le vendre à qui que se soit d'autre que .

Le 9 novembre 1989 toutes les télévisions du monde garderont en mémoire ce concert incroyable et improvisé de devant le mur de Berlin. Ses élèves et amis ont eu l'occasion de jouer cet instrument qu'il leur laissait essayer avec bienveillance.

Ce violoncelle mériterait d'être rebaptisé en son honneur, et nul doute que le prochain musicien qui aura le privilège de le jouer aura des frissons dans le dos avant de s'y risquer. Il est à espérer que cet instrument, exceptionnel à plus d'un titre, ne finira pas sa carrière dans la vitrine d'un musée ou encore une fois dans un coffre de banque, comme tant d'autres….

Crédit photographique : © DR

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