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Au pays des fantômes avec Pierre Henry et le Balcon

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Lille. Opéra. 20-I-2024. 18h. Dracula, ou la musique troue le ciel : libre adaptation de l’œuvre de Pierre henry (1927-2017) pour orchestre sonorisé et orchestre de haut-parleurs par Othman Louati (né en 1988) et Augustin Muller (né en 1989). Projection sonore Florent Derex ; Compagnie Le Balcon, direction musicale : Maxime Pascal
19h30. Jacques : Vidéochose, performance audio-visuelle.

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Dracula, ou la musique troue le ciel, libre adaptation de l'œuvre de , est donnée à l'Opéra de Lille par la Compagnie Le Balcon sous la direction de .

Le catalogue de , paru aux Éditions de la Philharmonie en 2021, mentionne trois versions de Dracula, ou la musique troue le ciel : celles, acousmatiques, de 2002 et 2010, et une troisième version, mixte (orchestre amplifié et bande) de 2016, associant la participation du Balcon et ses deux maîtres d'œuvre et . Donnée en création en 2017 au Théâtre de l'Athénée, l'œuvre mixte est reprise durant deux soirées à Lille.

On ne sait pas vraiment ce qui a motivé Le Balcon dans la réalisation de ce projet un peu fou, qui n'a pas dû déplaire à , car le compositeur était encore parmi nous en 2016. Ainsi a-t-il confié à la jeune phalange ses deux conducteurs : le premier contenant ses musiques en version stéréo ; l'autre faisant entendre des emprunts à Richard Wagner : à charge pour les deux compositeurs du Balcon de transcrire sur partition le second, en respectant les manipulations de Pierre Henry (transposition, montage des interludes et motifs orchestraux de Parsifal et de la Tétralogie), soit une trentaine d'échantillons retenus dans la version de 2002 et joués ce soir en live par les musiciens du Balcon.

Le choix de la formation instrumentale s'est appuyé sur celle de Déserts (1954), œuvre mixte de Varèse, qui était donnée en première partie lors de la création de 2017 : une quinzaine d'instruments à vent (orchestre par 2) dont deux tubas (basse et contrebasse) très actifs, un piano et un set de percussions important, auxquels s'est ajoutée la contrebasse, « pour obtenir des graves légers » précise dans sa note d'intention.

« Ma pièce », écrivait Pierre Henry en 2002, « est un mélange de sons électroniques entendus comme une sorte de science-fiction intime et d'articulations orchestrales venant d'un autre « Dracula », j'ai nommé Wagner, extraordinaire investigateur de sensations abyssales. » On ne saurait mieux présenter ce qui est donné à entendre dans l'espace bien sonnant de l'Opéra de Lille grâce au dispositif de spatialisation d'une part (orchestre de haut-parleurs), avec à la projection sonore, et aux musiciens du Balcon, d'autre part, sous la direction de .

Une voix qui hurle, un rire sardonique et les manifestations bruyantes d'un orage : c'est ainsi que s'inaugure, avec « la bande », cette traversée nocturne pleine de fantômes, de cris d'oiseaux et d'impacts inquiétants rehaussées par des éclairages ad hoc. Pierre Henry mentionne, comme source d'inspiration, les films muets de Terence Fisher et leurs scènes d'épouvantes ainsi que le Nosferatu de Murnau. La partie électronique, que le chef déclenche au pied, grâce à une pédale, ouvre l'espace et suscite des visions étranges. Côté partition, les deux tubas sont en vedette, s'inscrivant sur un foisonnement bruiteux. Ils repassent en boucle les Leitmotive de L'Or du Rhin, celui du géant Fafner en particulier. Résonnent sans plus attendre, sous les baguettes des percussionnistes, les enclumes jouissives des Niebelungen lors de la descente de Wotan chez les nains, concurrencées par les impacts agressifs sortis de la sonothèque de l'acousmaticien. Si les pages pulsées et musclées de la Tétralogie sont prioritaires, que Pierre Henry, qui connait son Wagner par cœur, s'est plu à sélectionner, la Chevauchée des Walkyries reste assez discrète, qu'il s'est ingénié à déformer malicieusement. Dans la partition, le motif de l'union entre Brünnehilde et Siegfried fait ressortir la clarinette associée au feu qui crépite dans « la bande ». L'électronique vient parfois hybrider le son instrumental, orchestre et bande tendant alors à fusionner. Les choses s'inversent à un moment donné, les deux compositeurs donnant à jouer à l'orchestre la musique d'objets sonores alors que la bande diffuse les samples wagnériens. Tubas et trombones (dont un trombone basse) reviennent en force avec le Leitmotiv du chasseur Hagen et la Marche funèbre de Siegfried prélevés du Crépuscule des Dieux. Le long trait de piano amplifié ne peut être que le fait des deux transcripteurs au sein d'une partition qui relève aussi de leur invention. Signalons encore, côté « bande » cette fois, les pas du marcheur (dont le micro grossit le champ bruiteux), emblématiques, au même titre que le tonnerre, de l'univers de l'électroacousticien.

Force est de constater que le mariage fonctionne, à la faveur d'un bel équilibre des forces et de l'énergie sans compter des musiciens du Balcon et de son chef ayant la double responsabilité, dans l'œuvre mixte, de conduire ses musiciens et d'envoyer la bande.

La seconde partie de soirée n'est pas moins luxuriante, avec le « jardin de sons » de Jacques, artiste et designer sonore qui faisait ses premiers pas sur une scène d'opéra. Vidéochose, qui met en évidence quatre gros tuyaux blancs de plastic cannelés, tient à la fois de l'installation sonore et de la performance de DJ. Le mur de fond de scène et trois autres écrans disposés autour de la console accueillent la vidéo. Elle consiste en une succession de samples visuels comme ceux que l'électroacousticien monte sur sa bande-son. Sympathique, drôle lorsqu'il s'adresse au public et virtuose à sa manière, Jacques danse devant sa console et aime manipuler des petits objets que capte en direct une caméra pour en grossir les détails. La musique, dûment pulsée mais sans trop de décibels, varie ses couleurs et ménage des surprises. Elle est synchro avec les effets de lumière et le flux joueur des images ou des mots : Vidéochose est un hommage à Pierre Henry, via l'humour et la truculence des objets sonores de Jacques, mais sans le radicalisme de « l'Homme-son ».

Crédit photographique : © Simon Gosselin

 

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