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Petites histoires du violon : Analyse sociale et économique

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Les organologues sont assez d’accords sur les faits suivants : le violon ou son prototype apparaît au début du XVIe siècle et est utilisé presque uniquement par les pauvres, les plus aisés jouant eux sur des instruments à cordes tels que les violes ou le luth. Cela soulève une question importante : pourquoi au début du XVIe siècle, le violon, invention su géniale autant sur le plan scientifique que musical, est si mal considéré et doit attendre un siècle pour être enfin utilisé en musique savante ? Pour accéder au dossier complet : Petites histoires du violon

 
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yamaha-yvn200s-akusticke-husleDans notre petite histoire du violon, proposons maintenant une analyse sociale et économique de l’instrument — à travers les quatre siècles de son existence. Les notions de son, de musique, de musiciens, ont beaucoup évolué depuis le XVIe siècle. L’appréciation du phénomène sonore lui-même a également évolué en même temps que tous les autres paramètres — sociaux, économiques, politiques et scientifiques.

Dans l’article précédent « le violon, projet politique », nous avons vu qu’au XVIe siècle, ce support est davantage un signe de classe sociale qu’un instrument de musique. On peut dire qu’il est « officiellement » au service de l’Église, alors qu’il commence à servir la classe bourgeoise qui s’émancipe.

Au XVIIe et au XVIIIe siècles, la musique (l’art en général) est au service du Prince. Le goût est alors au « merveilleux » à « l’extraordinaire » et le violon de l’époque se prête à ces effets. N’étant pas « standardisé », on le fait jongler avec les différents paramètres comme les mesures, les cordes, le chevalet … pour produire des effets sonores et des possibilités de jeux en fonction des situations. Suivant que l’on se place dans un orchestre, en soliste, en plein air, dans une église, ou que l’on fait de la musique de chambre purement instrumentale ou encore d’accompagnement du chant — et selon le diapason local (fréquence d’accord des instruments, qui varie d’une région à l’autre). Mais nullement en fonction de l’exigence subjective du musicien — lequel n’est d’ailleurs même pas propriétaire du violon sur lequel il joue. Celui qui doit recevoir les honneurs, c’est le commanditaire de la musique, le propriétaire de l’instrument.

Au début du XIXe siècle, pendant et après la révolution industrielle, l’instrumentiste acquiert le statut d’artiste. Il veut s’affranchir et s’exprimer : la musique et l’instrument sont à son service. Aux luthiers de « tempérer » le violon : le même instrument, avec le même réglage, doit pouvoir être utilisé dans toutes les situations : orchestre, soliste, quatuor, petite ou grande salle… et même, depuis le XXe siècle, supporter les voyages sans se dérégler, pouvoir servir un répertoire couvrant quatre siècles de musique. Tout cela se réalise au détriment de la palette « sonore ». En contrepartie, on a la garantie d’un son utilisable dans tous les contextes, une expression plus libre du musicien, son interprétation, grâce à ses effets personnels, phrasé, vibrato, modulations etc.

A partir de ce moment intervient un phénomène nouveau : la « sonorité ». Celle-ci se différencie du « son ». Ce dernier est la réalité physique, audible, mesurable et objective de la vibration de l’air produite par le violon. Celle-ci se caractérise par sa puissance, sa fréquence, son spectre, un son transitoire d’attaque ; et de sa durée. Quant à la sonorité, c’est la somme des a priori ou « fantasmes » de l’auditeur (actif ou passif) dans le rapport subjectif qu’il entretien avec ce même violon : son aspect, son prix, son histoire. Autrement dit : ce que l’on écoute, c’est le son ; ce que l’on entend, c’est la sonorité. On peut aussi dire qu’un violon artisanal moderne, un violon ancien et un violon industriel — tous les trois de qualité comparable — pourraient avoir le même son, mais pas la même sonorité.

En fait, la différence fondamentale entre les violons anciens et modernes est la substitution des effets du violon aux effets du violoniste. Pour schématiser, la substitution du son à la sonorité, la valorisation de l’individu par son statut d’artiste (reconnu ou maudit, peu importe) passe forcément par l’argent. Le violon doit être à son service, mais refléter par son prix, la valeur de l’utilisateur.

Relevons alors une contradiction : l’industrie du XIXe siècle montre que l’on peut produire par la manufacture, la machine et l’organisation du travail, un produit standardisé pour un prix de revient beaucoup plus bas qu’en pièce unique, en ayant une garantie de qualité. Le violon moderne étant comme on l’a vu, un produit normalisé, on aurait donc pu produire par l’industrie des violons parfaits pour un prix modique. Et par conséquent générer du profit.

Or, comme nous l’avons vu précédemment, un bon violon doit être cher. Les luthiers-marchands du XIXe siècle et leurs descendants ont alors trouvé une solution : mener une politique protectionniste des violons haut de gamme et laisser à l’industrie la production basse et moyenne gamme, en sélectionnant les meilleurs bois et les meilleurs ouvriers pour eux. Ainsi, ils ont pu artificiellement créer deux catégories d’instruments : les manufacturés d’un bon rapport qualité/prix, rarement mauvais, rarement excellents, pour répondre à la demande générale ; et ceux faits dans leurs ateliers — ou vendus comme tels —, de meilleure qualité (mais d’un prix plus en rapport avec le fantasme de leur clientèle distinguée). C’est dans ce système qu’ont évolué les luthiers artisans-marchands et les musiciens jusqu’à présent.

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