La Scène, Opéras

Quartett de Francesconi revient sur la scène de La Scala

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Milan. Teatro alla Scala. 17-X-2019. Luca Francesconi (né en 1956) : Quartett, opéra en trois scènes. Livret en langue anglaise du compositeur, d’après la pièce de théâtre homonyme de Heiner Müller, librement adaptée de Les liaisons dangereuses de Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos. Mise en scène, Álex Ollé, La Fura Dels Baus ; scénographie, Alfons Flores ; lumière, Marco Filibeck ; vidéo, Franc Aleu. Allison Cook, mezzo-soprano, Marquise de Merteuil ; Robin Adams, baryton, Vicomte de Valmont. Orchestre du Théâtre de la Scala ; réalisation en informatique musicale Ircam, Serge Lemouton ; direction, Maxime Pascal

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Fort bien accueilli en avril 2011 par le public de La Scala, le second opéra de Quartett revient à l'affiche du théâtre milanais, sous la direction de et dans la très belle production d'Àlex Ollé de .

014_K61A0689Rappelons que Quartett est une adaptation en allemand (1980) du roman Les liaisons Dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos signée . s'empare du texte du dramaturge, le retaille et le traduit en anglais pour échapper, dit-il, à l'empreinte sonore du mot allemand. Il est fasciné par ce jeu de masques vertigineux et subtil où les deux personnages en scène, elle (La marquise de Merteuil) et lui (Valmont), peuvent échanger leur rôle et en endosser d'autres, celui de Madame de Tourvel et de la petite Volanges : un jeu de miroir où les frontières entre réalité et fiction s'effacent, où les espaces se multiplient, pour « mettre en mouvement la grande machine de l'ambiguïté humaine », souligne Francesconi. Pour ce faire, il imagine deux niveaux d'action : le face à face des deux personnages d'une part, leur affrontement brutal et sans concession porté par un ensemble instrumental qui joue dans la fosse ; des instants de rêve d'autre part, « pour contrer l'expressionnisme de Müller », qui rompent avec le huit-clos, agrandissent l'espace d'où nous parviennent les bruits du monde, la menace qui vient de l'extérieur mais peut-être aussi un souffle d'humanité dont nous frustre le dialogue cynique des deux partenaires. À la création, l'orchestre et le chœur dévolus à ces instants (les dreams) étaient entendus des coulisses. Ils ont été enregistrés, lors des représentations de 2011 et sont désormais spatialisés en direct grâce aux outils de la technique .

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Comme on l'avait déjà noté dans Trompe-la-mort du même Francesconi, donné à Garnier en 2017, on est saisi dans Quartett par l'adéquation entre la dramaturgie sonore et la scénographie, celle d'. Au centre de l'immense plateau de La Scala est suspendue une petite scène qui s'enchâsse dans la grande, un espace réduit où le couple est vu par le public comme dans un peep-show. Robe et chaussures rouges pour la Merteuil, costume sombre pour le vicomte ; un costume que revêt la marquise quand elle joue Valmont, tandis que ce dernier est torse nu. La direction d'acteur est remarquable, jouant avec les ressorts de deux chaises, d'un sofa et d'une table. Les lumières de et la vidéo de Franc Aleu contribuent de manière virtuose à ces allers-retours entre « la boite noire » et l'extérieur, dans une mise en abîme (les deux partenaires en gros plans se regardent parfois dans le beep-show) qui est au cœur de la mise en scène d'Àlex Ollé

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Chez Francesconi, la voix, entre chanter et parler, reste au service du texte, amplifiée par les moyens électroniques et prise en charge, voire relayée par l'écriture instrumentale qui en répercute le cynisme et la violence. Les mots sont « battus » comme le dirait , par une percussion synchro et agressive (métaux et claviers dans l'aigu) qui vrillent l'espace, accusant le tranchant et le cinglant des propos sortis de la bouche de ce couple manipulateur. , présent depuis la création du rôle, est une véritable bête de scène, valorisant le registre grave d'un baryton puissant et superbement timbré, qui peut aussi nous étonner lorsqu'il passe en voix de tête. Avec une même force de caractère et une présence scénique électrisante, la mezzo-soprano n'est pas en reste, comédienne et tragédienne tout à la fois, dont la voix flexible et parfaitement homogène domine la situation avec une virtuosité impressionnante. L'écriture instrumentale très ciselée, dont soigne la netteté des contours, suit les voix comme leur ombre, avec une tension souvent paroxystique, à la limite du supportable. N'étaient les « dreams » qui modifient la perspective, le registre et la temporalité, et nous font sortir de la boite et de l'écoute frontale. Le son diffus et enveloppant, celui du chœur et de l'orchestre, provient de la salle, via le Spatialisateur . Les visages des chanteurs sont projetés en gros plan par la caméra tandis leurs voix enregistrées s'entendent à travers les haut-parleurs, sorte de monologue intérieur qui nous fait pénétrer dans l'espace mental du personnage.

Autant de stratégies visuelles et sonores qui convergent pour traiter de l'ambiguïté de l'être, de cette impossibilité de savoir où finit le vrai visage et où commence le masque ; de cette comédie humaine en un mot, dont Trompe-la-mort, six ans plus tard, sera une nouvelle incarnation.

Crédits photographiques : © Brescia/Amisano

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