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Elektra à Stuttgart, un spectacle majeur et des grandes voix

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Stuttgart. 30-III-2024. Richard Strauss (1864-1949) : Elektra, opéra en un acte sur un livret de Hugo von Hofmansthal. Mise en scène : Peter Konwitschny ; décors et costumes : Hans-Joachim Schlieker. Avec Violeta Urmana (Klytämnestra), Iréne Theorin (Elektra), Simone Schneider (Chrysothemis), Matthias Klink (Aegisth), Paweł Konik (Orest)… Staatsorchester Stuttgart ; direction : Cornelius Meister

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Avant de venir en concert à Paris, une belle distribution où les hommes se distinguent particulièrement fait briller la remarquable mise en scène de .


Déjà dix-neuf ans, et pas une ride : cette Elektra désormais classique honore l'Opéra de Stuttgart, qui a longtemps eu le grand mérite de faire vivre durablement un vaste répertoire de mises en scène ambitieuses faites pour durer. C'est un peu moins le cas maintenant où les spectacles semblent beaucoup plus faits pour l'instant, comme dans les autres maisons d'opéra où les nouvelles productions concentrent toute l'attention – dommage, à vrai dire : aussi bien pour des raisons de coût que pour éviter le gaspillage environnemental que constituent les productions jetables, la longue vie des spectacles devrait être une priorité.

Cette reprise, qui plus est, n'est pas de la simple routine : non seulement c'est le directeur musical de la maison qui la dirige, mais encore la distribution choisie partira en tournée pour des versions de concert au Théâtre des Champs-Élysées et à Cologne, ce qui garantit une préparation soignée. À vrai dire, la direction était notre principale crainte en entrant dans la salle : après sa Femme sans ombre tonitruante, ne pouvait-on pas craindre un même déluge de décibels dans Elektra ? C'est, fort heureusement, tout le contraire, dans cette œuvre où les mots sont essentiels : si on n'entend pas toutes les notes de ce que chante , c'est à cause d'une émission qui rend sa projection aléatoire, pas à cause de l'orchestre. Cette réserve n'empêche d'ailleurs pas son Elektra d'atteindre une réelle grandeur tragique : la présence scénique de cette grande actrice-chanteuse n'y est pas pour rien, mais son timbre marquant et son sens des mots y contribuent aussi. Les deux autres figures féminines à ses côtés sont un peu moins marquantes : , juste après une Comtesse de La Dame de pique aux qualités et limites très similaires, a le mérite de vraiment chanter, avec un timbre qui n'a pas perdu en densité, mais il faut bien dire que le rayonnement magnétique d'une Waltraud Meier lui manque entièrement. , qui a brillé sur la même scène en Sieglinde ou en Impératrice, est moins à l'aise ici : la voix est solide, mais l'aisance manque un peu, de même que la lumière qu'on attend dans ce rôle.

Les choses sont bien différentes avec les rôles masculins ; Paweł Konik est un Oreste de grande tenue, pas du tout spectaculaire, tout en souffrance intériorisée. À l'opposé du spectre expressif, livre d'Égisthe un portrait tout aussi marquant, malgré la brièveté du rôle. Chanteur cultivé à la musicalité sans faille, il se livre ici à un numéro inattendu d'histrionisme assumé, avec une efficacité comique certaine : la tragédie n'y perd rien, bien au contraire.

Le spectacle de est sans doute ce qu'on peut imaginer de plus opposé à la célèbre mise en scène de Patrice Chéreau, tout de grandeur tragique. Il y a souvent de la malice, de l'humour, de l'irrévérence dans ses spectacles, et les gardiens du temple lyrique ont bien vite fait de le cataloguer en provocateur. Mais ce spectacle est un bon exemple de son art, qui prend sa source au cœur de chaque œuvre. On le voit avec ce prologue joué et parlé en avant-scène : Agamemnon qui joue dans son bain avec ses trois enfants, ceux-là mêmes qu'on verra se déchirer dans l'opéra. La scène est légère, lumineuse, et le meurtre n'en survient pas moins, absurde, sauvage. Ensuite, un décompte en gros chiffres rouges s'affiche en fond de scène : il n'est pas difficile de deviner qu'il annonce le meurtre suivant, celui de Clytemnestre, mais les protagonistes n'en remarquent rien. Le fond de scène prend les couleurs d'un ciel changeant, plus ou moins rougeoyant, plus serein ensuite mais toujours nuageux, d'où on ne voit pas le soleil. La direction d'acteurs, pour cette reprise, n'a pas perdu sa vivacité ni sa pertinence. Le sens du quotidien, du banal, le jeu virtuose avec cette hache qui finira par ne servir à rien, et même la jubilation meurtrière qui fait venir en scène toutes les victimes collatérales de la vengeance qu'évoque Chrysothémis, tout cela ne vient pas affaiblir les émotions fortes que procure cette œuvre extrême : ce nouveau regard, au contraire, les revivifie, les rend elles-mêmes nouvelles dans une œuvre qu'on voit pourtant si souvent.

Crédits photographiques : © Martin Sigmund

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Stuttgart. 30-III-2024. Richard Strauss (1864-1949) : Elektra, opéra en un acte sur un livret de Hugo von Hofmansthal. Mise en scène : Peter Konwitschny ; décors et costumes : Hans-Joachim Schlieker. Avec Violeta Urmana (Klytämnestra), Iréne Theorin (Elektra), Simone Schneider (Chrysothemis), Matthias Klink (Aegisth), Paweł Konik (Orest)… Staatsorchester Stuttgart ; direction : Cornelius Meister

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