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La Femme sans ombre à Stuttgart noyée dans les décibels

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Stuttgart. Opernhaus. 1-XI-2023. Richard Strauss (1864-1949) : Die Frau ohne Schatten (La femme sans ombre), opéra sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Mise en scène : David Hermann ; décors et vidéo : Jo Schramm ; costumes : Claudia Irro, Bettina Werner. Avec Benjamin Bruns (L’Empereur), Simone Schneider (L’Impératrice), Evelyn Herlitzius (La nourrice) ; Michael Nagl (Messager des esprits), Josefin Feiler (Gardien du seuil du temple, Voix du faucon), Kai Kluge (Jeune homme), Martin Gantner (Barak), Iréne Theorin (Sa femme)… Chœur de l’Opéra de Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart ; direction : Cornelius Meister.

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Plombée par la direction écrasante de et la mise en scène vaine de , la distribution ne peut au mieux que sauver les meubles.


Cela faisait plusieurs décennies que La Femme sans ombre n'avait pas été jouée à Stuttgart ; le spectacle porté par et ne permet pas de comprendre pourquoi cette abstinence a pris fin. Les problèmes que pose l'œuvre sont innombrables, notamment dans le livret surchargé de Hofmannsthal, avec la langue désuète et son obsession des symboles ; même comme symbole de réalités supérieures, l'idée que les femmes, la teinturière comme l'impératrice, ne peuvent pas s'accomplir parce qu'elles ne sont pas mères a des relents plus que gênants. On ne peut donc porter tout cela à la scène sans affronter les démons qui habitent l'œuvre.

C'est pourtant ce que fait , qui ne livre pas l'ombre d'une interprétation. Les décors de Jo Schramm sont massifs et théâtralement privés de vie, les costumes sont inventifs mais vains. On s'agite beaucoup sur scène, avec pas mal de maladresse ; l'espèce de colonne vertébrale qui occupe le centre de la scène dans la maison de Barak représente, si on tente de comprendre les propos du metteur en scène, une sorte de force primitive de la nature ; quand elle finit par être tuée, l'équilibre du monde est rompu, et l'opéra se conclut par son remplacement par une structure similaire en format réduit. C'est ainsi qu'on meuble une scène d'opéra, mais ce n'est pas une interprétation. La succession des décors ne fait guère plus de sens : on voit au début une sorte de pavillon moderne en béton qui semble marquer le monde de l'Empereur, puis une section de coupole gigantesque, toujours en béton, pour la maison de Barak, mais ces assignations initiales perdent de leur sens au fil de l'opéra ; la complexité de la seconde, avec cette structure ronde au sol où on trouve d'abord de l'eau, puis de la végétation, ne sert rigoureusement à rien.


Hélas, l'interprétation musicale n'est pas plus convaincante, y compris avec une distribution féminine cruellement à la peine. Ce n'est à vrai dire qu'à moitié la faute des chanteuses : la direction de Meister fait dans l'énorme, et il leur faut bien du courage pour lutter contre l'ouragan qui sort de la fosse – les ensembles tournent vite à la cacophonie. L'une d'elles, , qui chante la femme de Barak, est annoncée souffrante, ce qui interdit tout commentaire. en Impératrice s'en sort mieux qu' : celle-ci privilégie l'expression, si bien que la ligne musicale est parfois heurtée et disparaît souvent sous l'orchestre. Schneider, elle, sauve au moins son monologue du 3e acte, qui renoue avec la beauté vocale de ses Sieglinde et Brünnhilde récentes sur la même scène, et avec le même chef : c'est l'un des rares moments où Meister laisse respirer la musique. Pendant le reste de la soirée, elle est obligée de forcer et peine dans ces conditions à émouvoir et à construire un personnage. Les hommes s'en sortent mieux, l'Empereur solide de , le Barak émouvant et simple de , et au moins on comprend ce qu'ils chantent.

Sans parler des grands anciens, Kirill Petrenko et Vladimir Jurowski, entre autres, ont montré comment on pouvait diriger La Femme sans ombre non pas comme un opéra-monstre, mais comme une œuvre-monde, avec humanité et chaleur. est visiblement porté par le désir d'en faire une œuvre de théâtre, ce qui le conduit à presser le mouvement au risque d'apparaître plus nerveux que dramatique ; si son Ring de Stuttgart avait fait alterner moments réussis et passages qui laissaient perplexe, les moments convaincants ne sont pas nombreux ici. Meister semble refuser toute transparence à l'orchestre, et dans cette masse orchestrale compacte la complexité de l'écriture motivique de Strauss disparaît.

Crédits photographiques : Matthias Baus

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Stuttgart. Opernhaus. 1-XI-2023. Richard Strauss (1864-1949) : Die Frau ohne Schatten (La femme sans ombre), opéra sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Mise en scène : David Hermann ; décors et vidéo : Jo Schramm ; costumes : Claudia Irro, Bettina Werner. Avec Benjamin Bruns (L’Empereur), Simone Schneider (L’Impératrice), Evelyn Herlitzius (La nourrice) ; Michael Nagl (Messager des esprits), Josefin Feiler (Gardien du seuil du temple, Voix du faucon), Kai Kluge (Jeune homme), Martin Gantner (Barak), Iréne Theorin (Sa femme)… Chœur de l’Opéra de Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart ; direction : Cornelius Meister.

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