Musique et République, l’élaboration d’une identité commune
Jusqu'au mois de juillet, dans une exposition gratuite, les Archives nationales, en partenariat avec le CNSMD de Paris, retracent les liens entre Musique et République, de la Révolution au Front populaire.

L'exposition qui s'arrête à la veille de la Seconde Guerre mondiale tant le sujet est vaste, aurait pu être sous-titrée « Saison 1 » tant une suite semble devoir s'imposer au regard de l'exploitation d'un tel fonds.
La scénographie, à dominante bleu et rouge, est habilement conçue pour faire cheminer les visiteurs dans un très grand espace et avec autant de documents, tout en maintenant l'intérêt. Car le parcours est imposant, découpé en trois parties : la Révolution, la réorganisation de la formation musicale et la musique engagée.
La figure de Méhul enseignant les chants patriotiques au peuple de Paris, violon et archet en mains, illustre l'affiche de l'exposition et accueille les visiteurs telle une figure tutélaire (tableau de CVE Lefebvre, 1870). Le compositeur est en effet l'auteur en 1794 du Chant du départ sur des paroles de Marie-Joseph Chénier, dont la partition est présentée. Une œuvre qui connait un succès retentissant comparable à celui de La Marseillaise deux ans plus tôt, puisque ce chant révolutionnaire préféré par Napoléon a été aussi hymne national. Les chants sont de toutes les fêtes publiques dès la Révolution, car pour la Convention, la musique se doit de les animer. Ils sont même encouragés afin d'exprimer l'élan citoyen naissant, constituant un nouveau répertoire qui se transmet. Les Archives nationales exhument à cette occasion des paroles de chants composés par des citoyens « sur l'air de », pouvant ainsi s'adapter à des airs connus de tous pour une meilleure diffusion. Certains chants recréés sont disponibles à l'écoute. Les instruments maniables (buccins, bassons russes) ou sonores (cuivres), qui portent à l'extérieur, deviennent plus adaptés aux pratiques de l'époque. Une vitrine présente certains d'entre eux (serpent, cor naturel, trompette…) accompagnés d'enregistrements sonores fournis par l'association des collectionneurs d'instruments à vent. La Marseillaise fait l'objet d'un espace à part entière avec une envolée de partitions (fac-similés) dont en vitrine l'original de Rouget de l'Isle. Sur le seul tableau original de l'exposition, on peut voir le compositeur chanter pour la première fois La Marseillaise chez le maire de Strasbourg. Des enregistrements historiques (Marthe Chenal, 1915 et Ferruccio Giannini 1896) sont en écoute.

La Révolution ayant démantelé les structures de formation musicale avec les maitrises religieuses, elle se doit de repenser et réorganiser l'enseignement de la musique. L'Institut national de la musique est à ce titre créé en 1793, le conservatoire en 1795. La seconde partie retrace ainsi la démocratisation de l'accès à la musique, depuis Paris jusque dans les départements, puis dès l'école primaire grâce aux lois de Jules Ferry. La pratique amateur est favorisée, les bals populaires se développent, c'est l'âge d'or des harmonies (belle bannière de l'harmonie municipale d'Argenteuil en velours) et des orphéons. Des nombreux documents, courriers, requêtes, partitions, procès-verbaux, brochures illustrent le propos.
Politique à la Révolution, la musique y reste liée jusqu'au début du XXe siècle, s'exprimant dans les mouvements populaires et luttes ouvrières, tandis que la musique allemande (Wagner et même Offenbach) se voient rejetés après l'annexion de l'Alsace-Lorraine en 1870. « Si l'Art n'a pas de patrie, les artistes en ont une » affirme Camille Saint-Saëns dans L'Echo de Paris en 1914. Se développent des « chansons de France pour les petites Français » dans de jolis ouvrages illustrés et des hymnes « à ceux morts pour la patrie ». De 1915 à 1918, la Gazette des classes de composition du Conservatoire est créée et dirigée par Nadia et Lili Boulanger pour maintenir le lien avec les élèves partis au front. Prêté par le Musée de l'Armée, un clairon ayant sonné l'armistice le 11 novembre 1918 est exposé à proximité d'une photographie de Maurice Ravel en uniforme et de la partition annotée par Debussy en 1915 du Noël des Enfants qui n'ont plus de maisons.

Dans un dernier espace à la façon d'un petit théâtre, une grande frise de compositeurs et compositrices se déploie avec les apports de chacun(e) à cette période de grands changements pour la musique, accompagnés sur le mur d'en face de nombreuses citations. Berlioz bien sûr arrange La Marseillaise pour orchestre en 1830, Augusta Holmès compose une Ode triomphale pour commémorer le centenaire de la Révolution en 1889, Gabriel Fauré dirige le Conservatoire pendant la Première Guerre mondiale, Ravel écrit le Concerto pour la main gauche pour le pianiste autrichien Paul Wittgenstein qui a perdu son bras droit au combat…Diffusés dans cette salle, plusieurs extraits de chansons françaises populaires dont Le temps des cerises qui date de 1866-68, démontrent que la chanson et la musique, pas seulement politiques, créent du lien par delà les générations.














