Ce disque est le reflet d'une pratique de violoniste perdue : s'accompagner à l'aide d'un pédalier d'orgue. Emmanuelle Dauvin maitrise avec brio cet exercice périlleux, en compagnie de la voix pure de la soprano Heather Newhouse dans un programme entièrement consacré à Bach.

En Allemagne du nord, au XVIIe siècle, Nikolaus Bruhns (1665-1697), élève de Dietrich Buxtehude, était organiste mais aussi violoniste. On rapporte qu'il agrémentait son jeu au violon d'une ligne de basse qu'il réalisait grâce au pédalier de son orgue. Bien sûr si l'anecdote est connue depuis longtemps, c'est peut-être ici la première fois que l'on entend une telle disposition musicale. En effet l'idée est judicieuse et permet à un même interprète de jouer en polyphonie. Ici la violoniste se rapproche également d'une voix de soprano pour constituer un trio harmonique des plus heureux.

Le programme s'articule autour de pièces de Johann Sebastian Bach puisées dans les Partitas pour violon seul ainsi que dans des Cantates. Parfois les deux se rejoignent naturellement puisque Bach réutilisait pour ses cantates certaines œuvres déjà écrites. c'est le cas du Prélude de la Partita n° 3 pour violon devenu la Sinfonia de la Cantate BWV 29 que l'on écoute en ouverture du disque. Il s'agit d'une ambiance inédite, orchestrale, et qui révèle en vrai les harmonies virtuelles et suggérées par la version initiale du violon solo. Les basses de l'orgue ponctuent avec charme de solides fondations acoustiques, et le jeu virtuose d'Emmanuelle Dauvin au violon se retrouve également au pédalier où ses pieds volubiles tissent le discours savant du compositeur. Apparaît ensuite la voix angélique de Heather Newhouse dans quelques adaptations de Cantates où la réduction orchestrale violon/orgue fait merveille. On obtient une de ces formations en trio que Bach aimait. On se souvient de ses propres transcriptions de Cantates au travers de des Chorals Schübler pour la plupart redisposés en trios. L'air « Bereite dir Jesu » extrait de la Cantate BWV 147 en donne un exemple émouvant qui met en valeur une fois de plus le génie du cantor.

Captées dans la très agréable acoustique de l'église de Saint-Pierre-d'Albigny, les voix mêlées de Heather Newhouse et d'Emmanuelle Dauvin se répandent harmonieusement sur les solides fondations de l'orgue construit par Dominique Thomas en 2010. Cet enregistrement montre combien grâce à d'inlassables recherches historiques et musicologiques, la musique de Bach se renouvelle à chaque fois et apporte un éclairage nouveau à des textes que l'on croyait connaître de manière définitive. Pour nourrir encore le programme, Emmanuelle Dauvin se laisse séduire par quelques mouvements solo, tirés des Sonates et Partitas pour violon seul. Une belle réussite !