Alors que vient de sortir le nouveau roman d'Akira Mizubayashi, La forêt de flammes et d'ombres, les éditions Gallimard publient une édition illustrée d'Âme brisée.

Roman de l'écrivain japonais mélomane et de langue française, Âme brisée, publié en 2019, poursuit la série de ses écrits d'inspiration musicale, après Mélodie (2013) et avant Reine de cœur (2022), Suite inoubliable (2023) et cette année La forêt de flammes et d'ombres. Pour ce roman multi primé, Gallimard, l'éditeur d'Akira Mizubayashi, a eu la bonne idée d'en proposer une version illustrée grand format. Le sensibilité de l'écrivain y trouve ainsi un prolongement contemplatif, et les tourments de ses personnages un apaisement bienvenu.

À Tokyo en 1938, pendant la guerre sino-japonaise, Rei assiste à l'arrestation de son père, alors en pleine répétition avec son quatuor à cordes. Y prennent part des musiciens chinois : une association, même musicale, qui ne passe pas en ces temps d'affrontement. Caché dans une armoire, le petit garçon ne perd rien de cette situation à la fois violente et humiliante. Il est alors protégé par un soldat mélomane qui ne trahit pas sa présence et lui glisse le violon de son père qui vient d'être cassé. L'enfant récupère l'instrument piétiné, meurtri et pitoyable tel un animal blessé dont l'âme aurait été « brisée ». Il ne reverra jamais son père. Plus tard, devenu luthier en France, Rei (qui s'appelle à présent Jacques) suivra un parcours de vie empreint de reconstruction, pour lui-même et pour le violon de son père. Au gré des rencontres, sur les ailes du temps, les souvenirs des uns et des autres se croiseront et s'enchevêtreront tel un grand puzzle, qui par-delà un destin tragique, redonneront confiance en l'humanité.

Se déroulant en chapitres portant le nom des mouvements du Quatuor à cordes « Rosamunde » de Schubert (celui que jouait le père de Rei au moment de son arrestation) l'ouvrage dans lequel les références musicales sont omniprésentes (la Gavotte en rondeau de Bach !) offre dans cette édition une approche également visuelle. L'histoire est ainsi rythmée par de nombreuses reproductions de tableaux (Matisse, Klee, Picabia, Braque, Kandinsky, Dufy…). Elles accompagnent les mots de l'écrivain, sans qu'aucune mention les concernant ne vienne troubler le récit. Le flux du texte et des peintures peut ainsi s'écouler sans interruption et sans frontière marquée. Il faudra se référer après l'épilogue à une double page afin de trouver les références et caractéristiques de la quarantaine d'œuvres reproduites. Dans sa note sur cette édition illustrée, Akira Mizubayashi confie à quel point les images l'accompagnent dans l'écriture (« la triste vision de l'instrument réduit en miettes » (Braque), le chien shiba qui réchauffe le petit garçon après le drame (Goya)…. Il a ainsi « tremblé de joie » à cette proposition de son éditeur. Aux lecteurs de choisir, dit-il, « leur trajectoire propre parmi les mots en se livrant à une déambulation dans cette luxuriante forêt de couleurs et de formes« . Un livre marquant qui offre ici un écrin aux émotions qu'ils suscitent.