Trifonov et Harding dans le Concerto n° 3 pour piano de Rachmaninov
Six semaines après son récital à la Philharmonie, Daniil Trifonov revient à Paris à la Maison de la Radio pour un 3ème Concerto de Rachmaninov sobrement traité, en accord avec la direction de Daniel Harding, plus à même de fournir de grands élans dramatiques dans Une Vie de Héros de Richard Strauss.
Tardif dans la saison parisienne, le concert de mi-juillet du Philharmonique de Radio France précède celui du lendemain au Festival de Montpellier, où le même programme est reconduit. Daniil Trifonov a fini sa tournée de juin passée par Paris et New-York et peut maintenant revenir sereinement au Concerto n° 3 de Rachmaninov.
Car si un terme transparait de cette interprétation, c'est bien celui de sérénité, où dès le premier accord du piano se laisse deviner un toucher qu'on aurait pensé bien plus dur après la Sonate de Tchaïkovski entendue six semaines plus tôt, et qui montre au contraire une grande douceur. Par la même occasion, l'agilité se confond avec une facilité déconcertante à jouer un ouvrage pourtant parmi les plus complexe du répertoire. Grâce à cela, Trifonov peut faire ce qu'il veut, donc aborder la partition avec une véritable souplesse, et par la même occasion n'y montrer aucun combat, tant il n'y en a pas pour lui techniquement.
Un peu dans son monde encore parfois – il restera les yeux rivé sur son clavier pendant l'intégralité du concerto -, il gère avant tout sa partie et se laisse accompagner, même s'il écoute l'orchestre et les musiciens dans les échanges. La cadence donnée comme à son habitude dans la version « Ossia » du compositeur permet un grand moment de piano, de même qu'au centre de l'Intermezzo, où sans procurer une émotion qu'on aimerait encore plus intense, Trifonov présente toutefois maintenant une grande clarté et une grande maturité d'approche. Le Final aurait, lui aussi, pu être plus effusif, mais au moins évite tout le pathos entendu cent fois dans l'œuvre. Au contraire, tout en procurant souvent du souffle au Philharmonique de Radio France, Daniel Harding donne toujours une véritable finesse à l'ouvrage, au risque de mettre en défaut les cors dans un passage du premier mouvement demandé pianissimo, mais à l'avantage des vents et de cordes toujours claires. En bis, Trifonov revient à un extrait de La Belle au Bois Dormant de Tchaïkovski, en l'occurrence le Pas de deux conclusif de la suite transcrite pour piano par Pletnev, joué bien plus fin que lors du récent récital précité.
En seconde partie, Ein Heldenleben (Une Vie de Héros) met en évidence la façon d'aborder ce type d'œuvre pour le chef anglais aujourd'hui. Parfois si réservé par le passé, Daniel Harding semble avoir muri son approche ces dernières années et n'hésite plus à sur-contraster, au risque de se piéger lui-même dans l'acoustique de l'Auditorium de Radio France. Enlevée, l'interprétation du poème symphonique de Richard Strauss trouve sous sa direction une véritable conduite narrative, avec de très beaux moments d'orchestre et de superbes soli, notamment le cor solo Antoine Dreyfuss fantastique à deux reprises. La petite harmonie a plus fort à faire avec Les Adversaires du Héros, mais elle est bien aidée par les contrebasses juste après, avant de trouver le plus merveilleux compagnon possible au héros dans la troisième partie. Malgré des dizaines d'interprétations entendues de l'œuvre par les plus grands orchestres français, autrichiens ou allemands, jamais le premier violon nous aura autant raconté que Nathan Mierdl ce soir sur son merveilleux Hieronymus Amati de 1696.
La Bataille du Héros assoie la capacité de l'orchestre à se montrer ample et tranchant quand il le faut, ainsi que la vision de Harding, définitivement plus ferme qu'il y a dix ans dans ses Alpensinfonie, intéressantes à l'époque pour leurs transparences (enregistrement avec le Saito Kinen, Decca). Sans éteindre les forces du Philhar, ni surtout ses couleurs (harpes, trompettes, cor anglais, basson solo), L'Œuvre de Paix apporte un doux parfum au développement avant le Retrait du monde du héros, achevé par le chef dans un superbe accomplissement des silences.









