Florian Boesch et Malcolm Martineau dans Wolf et Brahms : une nouvelle voie dans l’interprétation du Lied
Dans un programme très cohérent de Lieder, Florian Boesch et Malcolm Martineau confirment leur accointance stylistique et démontrent l'efficacité d'une nouvelle façon d'enregistrer le Lied.
C'est une triple victoire que ce CD. C'est d'abord celle d'un tandem d'artistes voix-piano qui se sont profondément écoutés et qui ont trouvé un langage commun. Après un très bon CD avec Dichterliebe et Krenek Lieder, Boesch et Martineau continuent leur artisanat commun, profond et raffiné. Que la voix rugueuse ou soudain veloutée du baryton commente les déferlements du piano, ou que le piano suggère les non-dits du chanteur, leur complémentarité est tout à fait admirable. Florian Boesch joue à merveille de sa voix souple, de son timbre-caméléon, de son élocution parfaite, et Malcom Martineau demeure l'accompagnateur brillant et sensible qu'il est toujours.
C'est aussi la victoire d'une certaine façon d'enregistrer les Lieder, et qu'on avait déjà pointée lors du précédent CD. Une façon de chanter qui consiste à se permettre par moments de ne pas projeter la voix, comme le font tous les artistes lyriques, mais de la déposer avec délicatesse dans le micro. Comme c'est simple : il suffit de ne plus ouvrir les résonnateurs physiologiques, de ne plus forcer le volume, et de chantonner, même à la limite du parler, le plus naturellement du monde. Florian Boesch n'est pas le seul à oser chanter comme ça devant un micro : Cyrille Dubois aussi l'ose, en dépit des critiques de certains. Pourtant, c'est tout à fait légitime, car la ligne de chant est parfaitement respectée, et à quoi bon, dans un studio, se forcer à projeter sa voix plus loin que les oreilles de l'auditeur ? Cela permet même des raffinements encore inouïs de délicatesse de legato, de souplesse de phrase, de netteté et de suspension des mots dans le vide, de timbrage et de dé-timbrage qui déclenchent des émotions nouvelles et fortes. Il faut le dire clairement : c'est une nouvelle façon de chanter et d'interpréter le Lied qui est désormais consacrée. On peut ne pas aimer, on peut se demander si c'est une mode qui passera, mais on ne peut pas nier l'impact musical et émotionnel de cette esthétique nouvelle.
Enfin, c'est encore celle d'un programme admirablement construit autour de deux monuments : les Vier ernste Gesänge de Brahms et les Drei Gedichte von Michelangelo de Wolf. Les trois Harfenspieler de Wolf sont présentés conjointement, ainsi qu'un ensemble de lieder de Brahms agencés comme un mini-cycle, le tout centré sur la mélancolie et la désespérance, mais sans tomber dans la déréliction. L'horreur de vivre est transcendée par l'art de la décrire. Et dans les derniers Prometheus et Anakreons Grab, l'Homme se redresse enfin dans sa dimension de géant mythologique.
Une micro-réserve s'impose à propos des Quatre chants sérieux de Brahms. Ces chants, dont trois se basent sur l'Ecclésiaste de l'Ancien Testament et le dernier sur la Première Epître aux Corinthiens, devraient pouvoir concilier et la dimension intérieure d'une réflexion intime, et la dimension prophétique d'une proclamation vétéro – ou néo -testamentaire. Un paradoxe que Fischer-Dieskau a su résoudre, et plus près de nous, Stéphane Degout aussi. Florian Boesch reste sur la dimension intérieure, profonde et même déchirante, mais élime la dimension prophétique. Cela n'empêche pas ce disque d'être une réussite exceptionnelle, qui renouvelle notre écoute et la compréhension de Lieder que l'on croyait connaître.










