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Les Saisons de Tchaïkovski par Yunchan Lim : panache et perfection

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Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Les Saisons op. 37a. Yunchan Lim, piano. 1 CD Decca. Enregistré au Menuhin Hall, Stoke d’Abernon, Angleterre, en juillet et août 2014. Notice de présentation en anglais français, allemand et coréen. Durée : 45 min

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Les deux premiers disques de pour Decca – Etudes de Chopin et Concerto pour piano n° 3 de Rachmaninov, ce dernier capté lors de la finale du concours van Cliburn qu'il remporta en 2022 – ont marqué la discographie. Le choix des Saisons de Tchaïkovski pour un troisième album bien trop court nous interroge.

Petit rappel : en 1876, la revue musicale Le Novelliste demanda à Tchaïkovski de lui fournir à chaque parution mensuelle de la revue, une pièce pour piano. Chacune d'elle devait ainsi refléter « les impressions du mois de leur publication ». Les scènes intimistes sont enrichies d'un titre évocateur afin de donner quelques pistes aux jeunes filles de la bourgeoisie de Moscou et de Saint-Pétersbourg, lectrices assidues du Novelliste et qui s'enthousiasmèrent pour ces pages dites “de salon”. L'édition fut lancée en janvier 1876. Nous disposons ainsi d'un calendrier musical, moins inspiré par les couleurs du temps que par des images littéraires et poétiques (Pouchkine) quand d'autres pages font davantage référence à l'esprit du ballet, Tchaïkovski s'étant mis à la composition du Lac des cygnes. Plus encore, les titres rendent hommage à divers compositeurs : Schumann (janvier, février), Chopin (avril), Mendelssohn (juin), etc. Au final, les Saisons offrent une synthèse intéressante des influences russes (mélodies et rythmes) et germaniques (harmonie et contrepoint) de la fin du XIXe siècle.

Dans le livret de l'album consacré aux Études de Chopin, l'interprète confiait son désir de porter une narration dans chaque pièce. Il fait de même et dans un langage fleuri pour celui consacré aux Saisons : « Submergé par l'émotion, sanglotant, il se remet à rêver tandis que la fumée d'une cigarette trace des volutes dans l'air. En pleurs, il s'endort, emporté dans des souvenirs enfouis dans sa mémoire et sans cesse hésitant sur le seuil du passé… ». Dans le premier morceau, Au coin du feu, Sunchan Kim annonce que les rêves passeront du salon à la scène, celle de l'opéra ou du ballet. L'auditeur a la garantie de l'absence de tout épanchement, d'une sonorité directe et d'une franchise saisissante. Rien ne sera laissé dans l'ombre. joue pleinement des contrastes dynamiques, ceux de la voix humaine. Il est d'ailleurs révélateur que son texte de présentation cite à la fois Fedor Chaliapine et Edith Piaf ! Pour n'en rester… qu'au piano, c'est bien uniformément à Schumann que l'interprète fait référence. Sans heureusement forcer les traits, il souligne la fausse simplicité de l'écriture de certaines pièces, l'écriture de Tchaïkovski n'étant pas réputée pour tomber aisément sous les doigts.

Le choix de la définition la plus nette des plans sonores – exercice dans lequel excellait durant le Concours van Cliburn et dans ses Etudes de Chopin au disque – interdit toute superficialité ou maniérisme. Février est “intransigeant”, violemment expressif : notes détachées, percutées, théâtre de douleurs multiples. Avril est une chorégraphie – la porosité avec l'univers du Lac des cygnes n'est plus à démontrer – un brin nerveuse et emphatique, mais le salon est si loin de l'esprit d'une telle interprétation… Le contrôle de la respiration avec une pédale idéale, se concentre davantage sur la narration que sur la couleur : resserrement de la polyphonie (février) ou bien jeu perlé au service de la décantation (octobre). Yunchan Lim tire avantage de sa technique superlative dans ces pièces de valeur inégale. Certaines deviennent des miroirs des Kreisleriana ou des Davidsbündlertänze (Août). Tchaïkovski n'imaginait probablement pas autant de reconnaissance posthume. L'effet produit est saisissant (Septembre), mais il y manque un soupçon de fantaisie, de couleurs en arrière-plan comme dans la valse conclusive de Décembre.

Expliquons-nous. Ce mois de Décembre résume à lui seul l'impression que nous laisse ce disque maîtrisé de bout en bout : la valse au chic orgueilleux est placée sous les projecteurs d'une mise en scène somptueuse à la manière d'un Nino Rota – Fellini. Tout y est parfaitement réglé. Il n'y manque qu'une infime perte de contrôle dans le tournoiement des couples. Cela, nous l'entendons dans les froissements épais des tuniques et des robes, suggéré sous les doigts de Pavel Kolesnikov (Hyperion). Chaque pas de sa valse au charme indétrônable semble nous supplier pour que nous nous accordions encore un instant de bonheur, quand Yunchan Lim conclut avec le panache seul.

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Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Les Saisons op. 37a. Yunchan Lim, piano. 1 CD Decca. Enregistré au Menuhin Hall, Stoke d’Abernon, Angleterre, en juillet et août 2014. Notice de présentation en anglais français, allemand et coréen. Durée : 45 min

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