L’espace émotif du son avec la compositrice Chaya Czernowin
Les deux pièces d'orchestre récentes et de grand format (30'), Seltene Erde et Altara, de Chaya Czernowin réunies dans ce nouveau CD monographique nous convient à une expérience d'écoute d'une puissance émotive inouïe.

Sur fond d'écologie et d'engagement humanitaire, la musique de la compositrice israélienne Chaya Czernowin s'enracine dans le sol où nous vivons. Seltene Erde (Terre rare) est le nom des précieux minéraux extraits du sol pour nos téléphones portables et nos conversations. « Cette pièce s'inscrit à la croisée des souffrances inimaginables des enfants et des femmes qui extraient les minéraux, de l'appauvrissement des terres et de l'idée sublime d'une communication mondiale ininterrompue, porteuse de nos rêves et de nos aspirations les plus nobles », écrit-elle dans sa note d'intention. « La contrebasse est la terre, le socle de la pièce », qui imprime son grain et fait valoir ses sonorités telluriques. On n'est pas toujours en mesure de distinguer entre le jeu live de l'instrumentiste (Uli Fussenegger) et la partie enregistrée tant l'écriture instrumentale de la compositrice se rapproche des techniques électroacoustiques ; la matière y est très plastique, qu'elle sculpte à son désir : lisse ou granuleuse, ponctuelle ou glissée, bruitée voire saturée. Les trouvailles sonores faisant appel aux techniques de jeu étendues abondent, qui interpellent – tels ces sonorités de cuivres, véritables sirènes de détresse – et tissent une dramaturgie. À la marge du silence, la fin de la pièce saisit, où opère le pouvoir émotionnel du timbre. L'investissement du Klangforum Wien dirigé par Johannes Kalitzke s'entend tout comme celle du contrebassiste Uli Fussenegger.
D'une même force agissante, Altara (2020-21) invite aux côtés de l'orchestre deux voix amplifiées. La pièce, composée durant le covid, emprunte un texte du poète israélien Zohar Eitan, écrit lui-même durant la pandémie : « Altara est une complainte sur notre arrogance à penser que nous pouvons contrôler toutes les forces qui nous entourent, et un rappel de ces forces inconnues qui nous font bouger, nous et notre environnement », dit en substance la compositrice. Les sonorités puissantes des cuivres chaleureux imitant le shofar, la corne en usage dans le rituel israélite, alertent l'écoute à plusieurs reprises. Le texte est entendu en hébreu, plus vocalisé que chanté, voire chuchoté dans un espace silencieux durant les dernières pages de l'œuvre : « un livre où les mots se sont depuis longtemps estompés comme une goutte de rosée », écrit le poète. Un clavier/synthétiseur imitant le clavecin ouvre un espace microtonal sous les voix quand l'orchestre, mû par des énergies puissantes et imprévisibles, multiplie les déferlements sonores et autres manifestations bruyantes dont on peine, là encore, à identifier les sources. La performance vocale des deux chanteurs, Sofia Jernberg et Holger Falk, est étonnante, celle de l'ORF Radio-Symphonieorchester Wien sous la direction de Christian Karlsen impressionne, servie par une prise de son optimale.









