Hans Werner Henze : le rebelle lyrique par Philippe Torrens
Anticipant le centenaire du compositeur (1926-2012), sort, sous la plume de Philippe Torrens, le premier ouvrage d'envergure en français sur Hans Werner Henze, compositeur allemand exilé en Italie qui trace son chemin à l'écart de l'avant-garde post-webernienne.
Assidu des Ferienkurze de Darmstadt où il rencontre Boulez, Stockhausen mais aussi Nono dont il devient l'ami, Henze, comme ses camarades, fait sienne la syntaxe sérielle en tant que principe unificateur des dimensions horizontale et verticale de l'écriture dont relève la plupart de ses partitions. Mais son goût prononcé pour la scène, le ballet et l'opéra – musica impura – l'éloigne des recherches structuralistes (tendance à l'abstraction, série généralisée) de ses contemporains et accentue son malaise au sein d'un groupe et d'une nation où il ne trouve plus sa place… au point de s'exiler en Italie en mai 1953, dans l'île d'Ischia, d'abord, avec son amie, écrivaine et librettiste Ingeborg Bachmann puis à Marino. Son activité créatrice ne fera alors que s'accélérer au bénéfice de commandes, majoritairement germaniques, issues des plus grandes maisons d'opéra (Berlin, Munich, Salzbourg, Hambourg, etc.) et d'interprètes et chefs d'orchestre d'élection qui serviront au mieux sa musique : quinze opéras (de Boulevard Solitude, son premier succès, aux Bassarides avec lesquels il triomphe à Salzbourg en 1966, du Prince de Hombourg au Radeau de la Méduse), un genre qu'il honore jusqu'à sa mort ; il faut ajouter dix symphonies, autant de concertos, des ballets, cinq quatuors à cordes, etc., plus de 150 opus dont l'impressionnant catalogue est dressé à la fin de l'ouvrage.
Philippe Torrens se lance dans un récit chronologique en neuf étapes – un rien fastidieux au regard de la multiplicité des œuvres – étayé par les écrits du compositeur et le récent ouvrage monographique de Peter Petersen. Si les clichés à propos du sérialisme – doctrinal, rigide, radical, contraignant – sont pléthore, l'auteur, reconnaissant, certes, chez Henze une filiation stravinskienne, peine à cerner véritablement le style du compositeur dont l'hétérogénéité des composantes (sérialisme, jazz, musique populaire, etc.) fait plus d'une fois penser au « pluristylisme » d'un Bernd Alois Zimmermann jamais évoqué.
Comme chez ce dernier, l'engagement politique participe du geste de l'artiste : « Henze a toujours eu le cœur à gauche », lit-on dans le chapitre VI, « Les années militantes » durant lesquelles le compositeur, face à la guerre du Vietnam, à l'assassinat de Che Guevara ou celui de Rudi Dutschke, radicalise ses positions. Versuch über Schweine (« Essai sur les cochons ») est composé en quinze jours, dans une réaction violente à l'attentat contre le leader du mouvement étudiant. Le chapitre VII titré « L'engagement et le deuil » révèle une des facettes les plus lumineuses du compositeur. Alors que meurent presqu'en même temps Ingeborg Bachmann, Wystan Hugh Auden (le librettiste de Élégie pour de jeunes amants), son ami Paul Dessau et Luchino Visconti –, Henze crée à Montepulciano, petit village de Toscane, les Cantieri Inernazionali d'Arte, des « chantiers » plutôt qu'un festival. Il associe les forces locales, y compris la banda du village, aux artistes de tous bords (musiciens, peintres, clowns, metteurs en scène) venus sur les lieux pour monter des spectacles dans une atmosphère de création collective et participative. Une entreprise florissante au terme de laquelle Henze reçoit sa carte de membre du parti communiste italien !
À la lecture de cette biographie bien documentée, insérant quelques beaux portraits de l'artiste, on est en droit de s'interroger sur la rareté des travaux musicologiques en français sur le compositeur et la frilosité des programmateurs de l'hexagone au vu d'un catalogue d'une telle teneur !
L'entretien donné à ResMusica en 2003 lors du Festival Présences:










