Pépin, Dutilleux, Franck, l’Orchestre national de Lille « entre trois mondes »
En compagnie du violoncelliste Victor Julien-Laferrière, l'Orchestre national de Lille et son directeur musical Joshua Weilerstein, ont donné un concert incandescent où étaient confrontés les univers de Camille Pépin, Henri Dutilleux et César Franck.
Quels fils mystérieux unissent les univers musicaux de Camille Pépin (née en 1990), Henri Dutilleux (1916-2013) et César Franck (1822-1890) ? Outre que tous trois sont des musiciens du « nord » (Amiens pour Camille Pépin, Douai pour Dutilleux et Liège pour César Franck), ces trois compositeurs sont aussi des bâtisseurs de mondes sonores très personnels, univers cosmique pour la benjamine, univers intérieur pour Henri Dutilleux, univers grandiose et mystique pour César Franck.
Le monde de Laniakea (2019), l'œuvre de Camille Pépin jouée en ouverture de ce concert judicieusement intitulé « Entre trois mondes », n'est autre que le cosmos. Laniakea est en effet le nom du « superamas » dont notre galaxie n'est qu'un minuscule élément. Pour nous faire ressentir cette « grandeur incommensurable » de l'infini, Camille Pépin a composé une pièce hypnotique et majestueuse. On connaît la maîtrise orchestrale de la jeune compositrice qui aime, dans son œuvre, se confronter aux éléments. Sa musique, puissante et poétique, est immédiatement accessible, puisant aussi bien dans les scansions hypnotiques d'un Steve Reich, les touches impressionnistes d'un Debussy, que dans un lyrisme quasi hollywoodien. C'est efficace, extrêmement prenant, et offre à l'Orchestre national de Lille l'occasion de déployer toutes les couleurs de sa palette, nappes de cordes, impressionnante batterie de percussions, envols des bois et des cuivres.
La transition est finalement assez naturelle pour aborder les mille couleurs de Tout un monde lointain (1970), le prodigieux concerto pour violoncelle composé par Henri Dutilleux à l'attention de Mstislav Rostropovitch. Il revient au jeune Victor Julien-Laferrière de nous transporter dans ce long voyage au pays des rêves, porté par la poésie sensuelle de Charles Baudelaire (« Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! » extrait de La chevelure). Née du silence et retournant au silence, ce concerto est très exigeant pour le soliste, constamment mis en avant, comme pour l'orchestre, dont chaque pupitre doit tisser une dentelle extrêmement précise. Cette précision, on la retrouve dans le jeu, très concentré de Victor Julien-Laferrière, comme dans la direction attentive de Joshua Weilerstein. Un grand moment, intense et hypnotique.
L'entracte est nécessaire pour ensuite entrer dans l'univers, tout autre, de la célèbre Symphonie en ré mineur (1888) de César Franck. Nous sommes ici dans le post-romantisme le plus assumé, synthèse magnifique entre musique française et allemande, critiquée à l'époque de sa création. A l'image du dense premier mouvement, la musique de Franck est une houle incessante, oscillant entre l'intime et le grandiose, comme dans les symphonies d'Anton Bruckner à qui on l'a souvent comparée. L'organiste qu'il est (comme Bruckner) sait unir les timbres puissants comme les envols éthérés. La direction ample de Joshua Weilerstein permet de doser intelligemment les effets sans jamais tomber dans la grandiloquence. A l'image du merveilleux Allegretto central, délicate marche bercée par la douce mélodie du cor anglais, avant le geste romantique du final où sont récapitulés tous les thèmes de l'œuvre. Conclusion majestueuse d'un concert unifiant trois mondes, et un même amour de la musique.














