Sonder les ténèbres avec Stefano Gervasoni
Avec De tinieblas (Des ténèbres), Stefano Gervasoni fait revivre le genre musical liturgique développé au XVIIᵉ siècle ; sans faire appel directement aux « Lamentations de Jérémie », il choisit le texte en prose des « Tres lecciones de tinieblas » du poète espagnol José Ángel Valente (1929-2000) combinant tradition chrétienne, kabbale juive et vision contemporaine.

Le poète considère les quatorze textes de ses « trois leçons de ténèbres » comme des variations − voire méditations − sur les lettres de l'alphabet hébreu qui les introduisent. Stefano Gervasoni, quant à lui, convoque un ensemble vocal de trente deux chanteurs (le SWR Vokalensemble ) et les ressources de l'électronique (technique Ircam) pour cette plongée dans les ténèbres qu'il considère comme une expérience vitale : « L'obscurité comme un état de richesse et non comme un vide étouffant ». De fait, après l'effluve brouillée du Aleph inaugural, la première « leçon » débute sur la clameur incandescente des ténors épaulés par les autres pupitres. L'électronique s'immisce dans la trame vocale pour l'amplifier, en enrichir la texture et étirer au maximum les registres, intensifiant le mouvement de ferveur qu'entretient l'écriture des pupitres souvent extrêmement divisés. L'espace s'ouvre et le mouvement se fluidifie lorsque le chœur virtuel généré par les logiciels se détache des chanteurs, instaurant des effets d'écho ou de répons. Dans la deuxième leçon, Gervasoni confronte les voix fonctionnant en boucles à la trame lisse de électronique. Si l'écriture polyphonique se renouvèle à l'envi, stimulée par les images du poète, le « traitement » des mots (modes d'émission singuliers) est plus sporadique : une granulation sur un « r » qui roule, un « s » qui siffle ou encore une consonne qui percute dans les commentaires de la neuvième lettre TET. YOD instaure une dimension plus hiératique, déployant un large spectre qui s'affine jusqu'au sifflet. Des joutes rythmiques tout en aspérités s'inscrivent sur la trame électronique, superposant différentes temporalités. La masse chorale dans sa plénitude harmonique impressionne (NUN) tout comme les infrabasses de l'électronique sur lesquelles se referment de manière presque théâtrale ces trois « leçons de ténèbres » éblouissantes.










