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Clover met Stefan Sweig en musique : Heureux qui comme Magellan…

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Clover-Magellan. Musique d’Alban Darche, Jean-Louis Pommier, Myriam Rignol, Sébastien Boisseau, sur les mots de Stefan Zweig. Avec : Myriam Rignol, violes de gambe ; Sébastien Boisseau, contrebasse ; Alban Darche, saxophone ; Jean-Louis Pommier, trombone. 1 CD Yolk Records. Enregistré au Studio Peninsula à Sarzeau en septembre 2023. Notice de présentation en français. Durée : 73:12

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Quand un trio de jazz contemporain invite une soliste baroque et la voix de la chaîne Arte, le dépaysement est immédiat. Le disque que vous allez écouter est né sous une bonne étoile…

Ceux qui s'étonnent que la plume si prenante du grand écrivain autrichien n'a pas encore tenté les compositeurs auront envie de se précipiter sur ce disque qui apparaît à ce jour comme la première tentative en ce sens. Parmi les biographies (aussi haletantes que ses écrits romanesques) de Stefan Zweig, celle consacrée à Magellan est d'importance, non seulement par le formidable talent du conteur, mais également par le lustre qu'elle a redonné, dès sa parution en 1938, à l'homme, non seulement considéré à tort comme le premier circumnavigateur de l'Histoire, mais aussi comme un traître à son pays : Portugais, il dut passer par l'Espagne période Charles 1er (et futur Charles Quint) pour trouver les soutiens nécessaire à son ambition : achever le rêve de Christophe Colomb d'une Route des Indes (plus courte) par l'Ouest. De ce rêve avorté, commencé le 10 août 1519, interrompu le 27 avril 1521 par la mort brutale du visionnaire dans les Philippines, et conclu le 6 septembre 1522 par un de ses mutins amnistié (Juan Sebastián Elcano), subsistent tout de même, sur les planisphères, le Détroit de Magellan, le patronyme du Pacifique, et, dans les astres, deux galaxies et un cratère lunaire.

« Au commencement étaient les épices. » Ainsi commence le Magellan de Zweig. Ainsi commence le Magellan du collectif , qui, dès la seconde phrase s'affranchit du livre, et même de sa chronologie : la mort de Magellan, égrenée au long du disque en quatre chapitres intitulés Bataille, est notamment évoquée dès le début, en point focal de la narration. Comme le lecteur, l'auditeur se trouve instantanément propulsé en ce temps, inconcevable aujourd'hui, où « le moindre sac de poivre vaut infiniment plus qu'une vie humaine. » L'instrumentarium a priori improbable du trio (le trombone de , le saxophone d' et la contrebasse de ) fabrique en un accord le son de ce XVe siècle évanoui. De rares clins d'œils musicaux (un Dies irae, le Que ne suis-je la fougère d'Albanèse/Pergolèse popularisé par le générique de fin de Bonne nuit les petits), le descriptif d'une corne de brume enjoignant au départ, l'appel d'un marin… Il faut dire que s'est discrètement mêlé au trio un passager clandestin qui va prendre très vite une place de plus en plus conséquente : la viole de gambe, et même les violes de gambe (basse de viole et pardessus) de , de retour d'autres traversées (notamment en compagnie de William Christie et Raphaël Pichon). Un atout de taille, l'instrument ressuscitant à merveille, sous les doigts à la virtuosité tranquille de son interprète, non seulement le son d'une époque où il était roi, mais aussi les plus belles évocations marines : l'infini de l'horizon liquide, l'immobilité de l'air, le frisson des houles, rien moins que ce qui fut le quotidien d'une flottille de cinq navires et de 265 hommes progressivement décimée.

Au plus proche des quatre instrumentistes, la prise de son de Yolk Records (le label créé par ) est de toute beauté. Les crédits des vingt-six escales de cette partition riche en atmosphères révèlent l'amont de ce qui a dû être, comme on a pu s'en rendre compte lors de la création de Magellan le 6 mai dernier à Besançon, un bouillonnant travail d'équipe. Pour la plupart composés à quatre, les numéros gagnent en densité musicale au fil du voyage. Certaines pièces plus développés révèlent l'inspiration de leur auteur spécifique : (les prenants Magellan et Follia de Darche, l'émouvant Amarras de Rignol). On regrette que le bijou du disque, le si étreignant Angel's Thought conclusif de soit si bref (il restait pourtant quelques minutes disponibles sur ce disque au minutage déjà généreux). On se prend également à penser au long cours de cette évocation de la mondialisation commerciale avant l'heure que, plutôt que l'invitation faite à bord en cinquième passager de la si attachante voix de Lila Tamazit, on aurait pu faire choix, pour narrer cette histoire d'hommes, d'une voix masculine peut-être encore plus à même de restituer aussi bien celle de Pigafetta, qui chroniqua le premier tour du monde, que l'âme du grand navigateur, voire celle du grand écrivain.

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Clover-Magellan. Musique d’Alban Darche, Jean-Louis Pommier, Myriam Rignol, Sébastien Boisseau, sur les mots de Stefan Zweig. Avec : Myriam Rignol, violes de gambe ; Sébastien Boisseau, contrebasse ; Alban Darche, saxophone ; Jean-Louis Pommier, trombone. 1 CD Yolk Records. Enregistré au Studio Peninsula à Sarzeau en septembre 2023. Notice de présentation en français. Durée : 73:12

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