Emotions et découverte en ouverture du festival Août Musical de Deauville
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Deauville. Salle Elie de Brignac-Arcana. 21-VII-2025. Wolfgang Amadeus Mozart (1759-1791) : Rondo en la mineur pour piano K. 511 ; Franz Liszt (1811-1886) : Saint-François d’Assise : la Prédication aux oiseaux ; Richard Strauss (1864-1948) : Säus’le, Liebe Myrte!, op. 68 n° 3 ; Amor, op. 68 n° 5 ; Muttertändelei, op. 43 n° 2 ; Die Nacht, op. 10 n° 3 ; Franz Schubert (1797-1828) Quintette à cordes pour (2 violoncelles) en ut majeur D 956. Gloria Tronel, soprano. Gabriel Durliat, piano. Emmanuel Coppey, violon I. Vassily Chmykov, violon II. Anna Sypniewski, alto. Stéphanie Huang, violoncelle I. Maxime Quennesson, violoncelle II.
Pour sa 24e session d'été, le festival de Deauville reste fidèle à sa politique de découverte et de promotion de jeunes musiciens avec un magnifique et éclectique concert de musique de chambre convoquant Mozart, Liszt, Strauss et couronné par le Quintette de Schubert.
La soirée s'ouvre avec le Rondo pour piano K.511 de Mozart (1787). Une œuvre célèbre, un peu particulière et surprenante dans le corpus mozartien par ses harmonies tendues, ses chromatismes douloureux, son refrain au rythme balancé, ses ornements pleins d'élégance et ses allures pré-romantiques ; une partition toute imprégnée d'une détresse profonde après que Mozart a connu la déception de la réception un peu mitigée des Noces de Figaro par la noblesse viennoise. Avec ce Rondo commence alors pour Mozart une période de doute et de solitude (ses amis s'éloignent, les souscripteurs se font rares, la Franc-Maçonnerie ne semble pas répondre à toutes ses attentes de fraternité) qui trouvera son exutoire dans ce pathétique Rondo dont Gabriel Durliat nous livre une interprétation remarquable où le pianisme techniquement irréprochable séduit, même si l'on eut préféré un jeu un rien moins raide, peut-être légèrement moins lumineux, plus introverti, valorisant, les zones d'ombre par des variations agogiques plus marquées (rubato) et des basses plus appuyées.
Aucune réserve en revanche quant à l'interprétation de la Prédication aux oiseaux (1863), première des deux Légendes de Franz Liszt, composées à Rome au couvent de l'Eglise Madonna del Rosario et dédiées à sa fille Cosima. Véritable « poème symphonique » pour piano où se mêlent bruissement de sources, gazouillement d'oiseaux et récitatif dans une ambiance tout à la fois poétique et mystique, paradisiaque, parfaitement rendue par le jeu fluide, délicat et virtuose de Gabriel Durliat.
Place à la voix pour conclure cette première partie avec quatre Lieder de Richard Strauss (deux des Brentano Lieder op. 68 n° 3 et 5 ; Mutterländelei op. 43 n °2 et Die Nacht op. 10 n° 3) interprétés par Gloria Tronel récemment remarquée à l'Opéra national de Paris pour son interprétation exigeante de Leticia Maynar dans la première française de The Exterminating Angel de Thomas Adès. Force est de reconnaitre qu'on comprend mal le choix surprenant de ces Lieder dans un tel programme… Mais inclinons-nous devant la belle interprétation de la jeune et prometteuse chanteuse. Les deux lieder de Brentano (1919), « Säus'le, Liebe Myrte! » et « Amor » qui font souvent le miel des sopranos colorature (dont notamment Natalie Dessay ou Diana Damrau) témoignent, ici, d'une qualité vocale sans faille (beauté du timbre, projection large, vocalises bien modelées, bonne diction) doublée d'une incarnation scénique satisfaisante, mais on regrettera quelque peu le manque de legato et de sensualité de cette interprétation pour voix et piano, privée, il est vrai, de l'accompagnement opulent de l'orchestration straussienne que le compositeur réalisera secondairement en 1940. « Muttertändelei » sur un poème de Gottfried August Bürger est quant à lui superbement servi par le chant et le piano, on y apprécie la souplesse de la ligne, le sublime legato ainsi que le l'acuité de l'accompagnement de Gabriel Durliat. « Die Nacht » (1885) est le lied le plus ancien, composé par Strauss à l'âge de 18 ans sur un texte de Hermann von Gilm dont Gloria Tronel livre une vision infiniment poétique pour achever en beauté de court récital abondamment salué par le public.
Mais, le meilleur reste à venir en fin de soirée avec une lecture enthousiasmante et bouleversante du Quintette à deux violoncelles D956 de Franz Schubert interprété par Emmanuel Coppey et Vassily Chmykov aux violons, Anna Sypniewski à l'alto, Stéphanie Huang et Maxime Quennesson aux violoncelles. Œuvre posthume, véritable chant du cygne, composée en 1828 contemporaine du Schwanngesang, créée en 1850, probablement un des plus grands chefs d'œuvre de musique de chambre avec les derniers quatuors de Beethoven et le Sextuor de Brahms. Sa particularité tient à son instrumentarium comprenant deux violoncelles ; le deuxième conférant à la partition une dimension orchestrale, modifiant l'équilibre de la formation (notamment les timbres dont il exalte l'effusion romantisme) pouvant jouer à l'unisson, contrepointer, ornementer et scander la ligne des autres instruments. Il comprend quatre mouvements : l'Allegro ma non troppo initial est abordé par ces jeunes musiciens avec beaucoup de lyrisme et d'énergie. On est d'emblée impressionné par la clarté de la polyphonie, la complicité des intervenants, la richesse en nuances rythmiques et dynamiques, l'impact émotionnel saisissant, la beauté des sonorités respectives et de la ligne mélodique (dialogue Stéphanie Huang-Maxime Quennesson), ainsi que par la précision sans faille de la mise en place. L'Adagio élégiaque se développe dans un climat de méditation tragique ponctué par les pizzicati superbement ciselés, échangés entre violon I (Emmanuel Coppey) et violoncelle II (Maxime Quennesson) dans un mouvement qui suspend le temps, moment d'exception où les silences deviennent musique et où l'égo laisse rapidement place à l'égrégore. D'une énergie et d'une virtuosité fulgurante, le Scherzo fougueux contraste avec un Trio apaisé faisant une large place à l'alto mélancolique de Anna Sypniewski. L'Allegretto final aux saveurs tziganes et aux accents facétieux enflamme une dernière fois l'assistance dans une communion jubilatoire avec les musiciens.
Crédit photographique : © Yannick Coupannec
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