Ensemble Des Équilibres : l’épopée sonore du Trans Europe Express
Les musiciens de l'Ensemble Des Équilibres emmenés par la violoniste et directrice artistique Agnès Pyka ont posé leurs pupitres dans le salon d'honneur avec vue du Château de Champs-sur-Marne. Au programme, et en présence de la compositrice, est inscrite la nouvelle œuvre en trio d'Édith Canat de Chizy.

Phalange à géométrie variable (du duo à l'octuor), l'Ensemble Des Équilibres est dédié au répertoire de musique de chambre, celui des XXᵉ et XXIᵉ siècles en particulier. Depuis l'automne 2024, il s'investit dans le projet européen Trans Europe Express. Soutenue par Europe Créative, cette action d'envergure met en avant la transmission et la création contemporaine féminine dans le territoire européen. Ainsi des commandes ont-elles été passées à huit compositrices de quatre pays différents : Édith Canat de Chizy, Florentine Mulsant (France), Andrea Szigetvári, Tímea Dragony (Hongrie), Véronique Vella, Mariella Cassar Cordina (Malte), Anna Malek et Marian Márquez (Espagne). Le projet fait l'objet de nombreux partenariats (festivals, fondations, universités, conservatoires, lieux d'accueils, etc.) et s'accompagne de master-classes, d'ateliers pour les jeunes compositrices, de conférences et résidences durant lesquelles les musiciens peuvent monter les œuvres aux côtés des compositrices. La mission touche également les problématiques liées aux politiques culturelles de chaque pays et à la place de la femme et de la compositrice dans le paysage de la création artistique européenne.
Abordant l'immense répertoire de la musique de chambre, l'ensemble s'est également donné comme objectif de faire découvrir des œuvres rares ; ainsi ce Trio avec piano de jeunesse (1843) de César Franck que les musiciens interprètent en début de concert. Aux côtés d'Agnès Pyka et du violoncelliste Jordan Costard, le pianiste hongrois Balint Barath joue sur le piano Erard (1870) du château dont, à notre grand regret, il a baissé le couvercle aux trois quarts, nous privant de sa pleine résonance. L'œuvre est de belle facture, à la polyphonie soignée, confiant volontiers les thèmes au violoncelle de Jordan Costard dont on apprécie le grain chaleureux et la belle conduite d'archet. C'est lui qui débute le mouvement lent, relayé par le violon éloquent d'Agnès Pyka sous l'accompagnement de ses deux partenaires. Le Scherzo est une sorte de danse paysanne robuste (Ländler), avec son bourdon dans le grave. Le violon est solaire et la complicité des trois musiciens s'entend dans le Final où Franck fait avancer les deux cordes en canon.
Au sein d'un catalogue qui dépasse aujourd'hui les 150 opus, Movimento est le premier trio avec piano d'Édith Canat de Chizy qui n'avait pas encore expérimenté cette formation. Clin d'œil à Moving (son troisième trio à cordes), le titre Movimento redit, en italien cette fois, l'importance du mouvement dans son travail et atteste le rapport constant qu'a la compositrice avec la peinture ; c'est en effet une toile d'Edward Munch vue au Musée d'Orsay, Le soleil, et l'intense mouvement vibratoire de son rayonnement, qui a suscité le désir d'écrire : une vibration approchée par le truchement des modes de jeu, large vibrato, trilles, trémolos d'harmoniques en glissando, ricochet avec le bois de l'archet, jeu dans les cordes du piano pour donner à entendre les battements entre les fréquences. Édith Canat de Chizy excelle dans le rendu de la musique vibratile, tout comme elle aime explorer le seuil des registres, le suraigu du violon d'Agnès Pyka, la résonance profonde du piano de Balint Barath. L'écriture y est ciselée, entretenant l'énergie cinétique (boucles, spirales, fusées, etc.) à laquelle contribuent les trois sources sonores avec une virtuosité confondante. La concentration est maximale au sein du trio pour servir au mieux l'extraordinaire vitalité d'une musique aussi insaisissable que profondément expressive.

La troisième pièce regarde vers l'Espagne, pays partenaire du projet Trans Europe Express, et nous conduit en Andalousie avec le Trio n°2 en si mineur (1934) du Sévillan Joaquin Turina. On est d'emblée conquis par l'élan de ses thèmes ensoleillés empruntant les tournures ornementales du mode andalou. On croit entendre le « rasgueado » de la guitare flamenca, sous les coups d'archet cursifs des deux cordes dans le mouvement central. Violon et violoncelle chantent d'une seule voix dans le dernier mouvement, avant que le piano n'exécute une partie très en dehors, conférant une dimension théâtrale à une musique qu'infiltre toujours le melos populaire.
Les musiciens du Trans Europe Express s'envolent vers Malte la semaine prochaine pour une résidence avec les deux compositrices maltaises avant de joindre Séville puis Budapest selon les étapes d'un voyage qui devrait s'achever en beauté au printemps 2026 avec un concert parisien mettant à l'affiche les huit héroïnes de cette belle épopée sonore.
Crédit photographique : © ResMusica
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Cest avec un grand intérêt que jai lu cet article élogieux pour lEnsemble Des Équilibres et leur projet Trans Europe Express. Les descriptions sont dune richesse qui laisse pantoche, que ce soit la subtilité de linterprétation de Franck sur lErard défaillant ou la virtuosité confondante de Canat de Chizy, où la polyphonie danse et les modes de jeu vibrato rappellent presque une peinture dEdward Munch en mouvement ! Cependant, la seule chose qui ma vraiment fait sourire, cest la description du piano Erard, qui semble avoir été victime dun chute de couvercle aux trois quarts, une défaillance qui, malheureusement, nous a privé de sa pleine résonance. On comprend la frustration des musiciens, mais au moins, cest une anecdote qui donnera de la profondeur à leur récit musical.