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Alice Sara Ott retrouve Ravel et le Philharmonique de Radio France

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Auditorium de Radio France. 16-X-2025. Thierry Escaich (né en 1965) : Arising Dances ; Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano en sol majeur ; Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Roméo et Juliette, extraits des Suites op.64 bis et ter. Alice Sara Ott, piano. Orchestre Philharmonique de Radio France, direction Jaap van Zweden.

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En résidence dans la maison ronde depuis septembre 2023, la pianiste qui, il y a trois ans, avait joué le Concerto pour la main gauche avec l' revient à Ravel avec le Concerto en sol. À la baguette, cette fois le chef néerlandais Japp van Zweden, qui prendra la direction musicale de l'orchestre la saison prochaine. 

Encadrant ce concerto de deux œuvres symphoniques, l'une d'aujourd'hui dont on assiste à la création française, Arising dances de , l'autre du siècle dernier, la suite tirée du ballet Roméo et Juliette de Serge Prokofiev (plus exactement des extraits des Suites op.64 bis et op.64 ter, deux des trois suites réalisées par le compositeur), le programme de ce concert est à l'affiche de la tournée européenne de l'orchestre parisien et de la pianiste, qui, commencée à Amsterdam et Anvers, se poursuivra à Munich et Vienne. 

Créé en 2021 à Munich pour l'inauguration de l'Isarphilharmonie, Arising Dances s'entend, suivant les propos de , comme un « poème symphonique » fondé sur trois éléments distincts et successifs : une valse, une sarabande à la manière d'un Stabat Mater aux accents « néo-baroques », et un rituel répétitif qui conduit à une fin enlevée et jubilatoire. Entre ombres et lumière, la pâte orchestrale joue avec les épaisseurs, les opacités mais aussi l'impalpable, des instruments solistes (chez les cordes en particulier) faisant émerger de nuages orchestraux des éléments mélodiques par bribes. Le rythme et la danse, la valse notamment dont des esquisses apparaissent et disparaissent à l'instar de celle de Ravel, traversent la pièce de son début à sa fin, changeant d'expression au fil de celle-ci, les trois éléments au demeurant hétérogènes finissant par s'entremêler dans une dynamique roborative. De ses sonorités les plus graves, les plus pesantes, aussi parfois les plus grasses (cuivres et contrebasses), à celles les plus graciles et immatérielles (harpe et célesta combinés au piano), l'œuvre partant d'une racine rythmique s'extravertit dans des superpositions- accumulations sonores et une profusion de couleurs qui stimulent l'oreille et l'écoute en permanence, mais aussi parfois, par autant de détails, en dispersent la perception. L'énergie impulsée par le chef qui la propulse vers sa fin spectaculaire ne laisse cependant pas le temps de s'y attarder. 

L'orchestre s'allège un peu tandis que le piano est amené au devant de la scène. , menue, vêtue d'une longue jupe qui cache ses pieds nus, arrive d'un pas vif. C'est animée de cette vitalité chevillée au corps et à l'âme qu'elle fait rayonner le Concerto en sol de , le jeu d'abord très expressif et fin, mais sans épanchement, fourmillant de belles intentions sensibles, devenant d'un mordant irrésistible, d'une netteté absolue dans l'acrobatie des traits, la vélocité. Elle en impose suffisamment par l'engagement et l'autorité dont elle fait preuve pour ne pas se laisser submerger par le son de l'orchestre souvent trop fort dans le premier mouvement dont l'équilibre sonore semble échapper à . Dans un bercement serein, elle déploie la ligne du deuxième mouvement avec une infinie poésie, et rejointe par le long souffle du magnifique cor anglais, éclaire son chant de la douceur cristalline et de la subtilité de ses notes égrainées. Le dernier mouvement qui redouble de mordant et de vitalité sous la luminosité et la précision de ses doigts d'acier lui vaut un triomphe. En bis elle joue un agréable Nocturne de John Field, l'inventeur du genre, qu'elle a révélé au disque. 

 

Le piano et le célesta reprennent leurs places au sein de l'orchestre en deuxième partie du concert : neuf numéros des Suites op.64 bis et ter tirées du ballet Roméo et Juliette de Serge Prokofiev sont présentés dans un ordre recomposé, le premier étant Montaigus et Capulets et sa célèbre Danse des Chevaliers. en restitue toute la dimension effrayante, la monstrueuse pompe et la violence, grossissant les sons des vents, tendant les aigus des violons, faisant cingler la caisse claire, détonner les timbales et la grosse caisse. Sur le terrain des sentiments exacerbés exprimés par cette musique, le chef est dans son élément, sollicitant le son de l'orchestre dans sa monumentalité, mais aussi dans la palette fortement contrastée de ses couleurs. L' se surpasse, répondant avec virtuosité à ses injonctions précises, énergiques et expressives jusque dans les menus détails dont certains ne manquent pas de raffinement. On admire la vivacité des archets, la netteté impeccable des traits des cordes dans Juliette enfant, les interventions des instruments solistes au fil des numéros, tous aussi remarquables les uns que les autres, l'allure du Menuet quoiqu'un peu grotesque au début, le lyrisme exalté de Roméo et Juliette avant la séparation qui devient incandescent chez les cordes dans Roméo au tombeau de Juliette. Dans ce numéro, la tension déchirante, le caractère funèbre et tragique sont portés par van Zweden à leurs paroxysmes. La Mort de Tybalt apporte une conclusion brillante, l'orchestre au sommet de sa rutilance. 

La soirée très applaudie se termine sur un bis avec la Danse slave n°8 op.46 d'Antonín Dvorák, particulièrement enlevée. Le concert retransmis en direct sur France Musique reste disponible à la ré-écoute.

Crédits photographiques © Hannes Caspar () et Brad Trent (

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Auditorium de Radio France. 16-X-2025. Thierry Escaich (né en 1965) : Arising Dances ; Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano en sol majeur ; Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Roméo et Juliette, extraits des Suites op.64 bis et ter. Alice Sara Ott, piano. Orchestre Philharmonique de Radio France, direction Jaap van Zweden.

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