Cinéma, Parutions

Deux pianos : le goût de la perte

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Deux pianos. Un film d’Arnaud Desplechin. Scénario : Arnaud Desplechin et Kamen Velkovsky. Musique : Béla Bartók, Claude Debussy, Frédéric Chopin, Jean-Sébastien Bach, Grégoire Hetzel. Avec : François Civil, Charlotte Rampling, Nadia Tereszkiewicz, Hippolyte Girardot, Alba Gaïa Bellucci, Anne Kessler, Jeremy Levin, Marianne Pommier, Valentin Picard. Distribution : Le Pacte. Sortie le 15 octobre 2025. Format: 2,39. Durée : 115:00

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Nouvel épisode du cinéma psychologisant d', situé cette fois dans le monde de la musique.

À équidistance du meilleur (Un conte de Noël) et du moins bon (le pénible Les Fantômes d'Ismaël), le nouveau film d', Deux pianos, n'échappe pas à la règle d'une filmographie alignant des opus invariablement tournés dans les têtes de personnages abonnés au malheur.

Qualifié de “concours de solitudes” par son réalisateur, Deux pianos, né de la fusion de deux contes, dont An affair to remember de Leo McCarey, infiltre trois trajectoires : la fin de carrière d'Elena, pianiste de renom (impériale Charlotte Rampling) désireuse de passer le flambeau à Mathias, ex-élève de retour au pays (bouleversant François Civil), tellement hanté par un passé-qui-ne-passe-pas qu'il s'évanouit comme Fanny Ardant dans le film de François Truffaut La Femme d'à côté lorsqu'à Lyon le hasard le remet face à Claude (Nadia Tereszkiewicz), femme et bientôt veuve de son ami Pierre, couple qui n'a pas été pour rien dans la fuite dans la musique et à l'étranger du jeune virtuose en herbe qu'il était alors. « Je ne sais pas si j'étais amoureux de ton père ou de ta mère », confiera-t-il à l'enfant qu'il croit être d'iceux.

Remarquablement dialoguée, la première moitié du film intrigue avec son allure de mélodrame fantastique, notamment avec le personnage de l'enfant-doppelgänger dans le jardin public. Avec une vraie maestria le film multiplie les gros plans non seulement sur les protagonistes principaux, sur d'excellents rôles secondaires (Hippolyte Girardot en agent…) mais aussi sur les lieux, le célèbre Auditorium lyonnais où se déroule la partie musicale du film restant longtemps méconnaissable.

Mousquetaire, enseignant, pianiste : la gamme de jeu (c'est lui qui joue Bach à la fin) de François Civil semble infinie. Amoureuse de son acteur, la caméra de Desplechin nous fait bien entrer dans la psyché de ce héros qui ne va pas bien. Chair de l'orchidée pour Chéreau, veuve sous le sable ou romancière pour Ozon, il est clair avec Desplechin que Charlotte Rampling a toujours été pianiste. Elle disparaît à mi-parcours. Et le film bascule.

Cette première perte du film laisse dès lors le champ libre à Nadia Tereszkiewicz. Plutôt que la jeune actrice, jusque là magnifiquement regardée, ce sont les dialogues et les situations (pénible pleurnicherie téléphonique au lit) qui brisent l'alchimie que le rugueux Desplechin avait pourtant su installer et que le lyrique Truffaut avait si bien su mener à son terme avec son avant-dernier film. Ce nouveau “Ni avec toi ni sans toi” filmique se dilue dans l'anecdotique pour finir par rater sa cible avec une dévastation pour tous qui ne semble plus intéresser que son auteur, une fois encore sourd à cette phrase qu'il place pourtant dans la bouche d'un de ses personnages : « Le malheur, c'est une perte de temps. » Après avoir perdu l'un après l'autre chacun de ses personnages, perd… son spectateur.

Et c'est progressivement gagné par la suspicion que celui-ci quitte la salle de ce faux film musical qui, après la disparition de la mentore de Mathias, et des notes qui vont avec (Bartók et sa Sonate pour deux pianos et percussions ; Debussy, qu'Elena Rampling dit ne pas aimer ! ; Le Torrent de Chopin) aura par trop laissé la place au seul verbe. La musique originale du talentueux n'a de son côté que le générique de fin pour faire entendre enfin le meilleur d'une partition qui n'avait jusque là guère de chance de s'imposer. D'une aménité plus que relative apparaît en prime au final l'image bien rugueuse du monde de la musique reflétée par Deux pianos, dont le titre se révèle in fine peu adapté à l'allegro de ce film ma non troppo.

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Deux pianos. Un film d’Arnaud Desplechin. Scénario : Arnaud Desplechin et Kamen Velkovsky. Musique : Béla Bartók, Claude Debussy, Frédéric Chopin, Jean-Sébastien Bach, Grégoire Hetzel. Avec : François Civil, Charlotte Rampling, Nadia Tereszkiewicz, Hippolyte Girardot, Alba Gaïa Bellucci, Anne Kessler, Jeremy Levin, Marianne Pommier, Valentin Picard. Distribution : Le Pacte. Sortie le 15 octobre 2025. Format: 2,39. Durée : 115:00

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