Doppelgänger de Jonas Kaufmann, nouvelle référence dans Schumann et Schubert
Doppelgänger (Sosie) le nouvel album de Jonas Kaufmann, associant un CD et un DVD, accompagné par son inséparable mentor Helmut Deutsch au piano, s'inscrit comme une lecture référence du Dichterliebe, des Kerner-Lieder de Robert Schumann et du Schwannengesang de Franz Schubert, ce dernier dans une mise en espace discutable de Claus Guth.

Voilà un album copieux qui associe un CD et un DVD dans un programme de Lieder portés par une interprétation bouleversante. Le CD réunit des interprétations de deux cycles de Lieder parmi les plus profonds de Robert Schumann, Dichterliebe op.48 et les Kerner-Lieder op.35 ; deux cycles (1840) qui abordent différents thèmes du Romantisme allemand tels que l'amour naissant, la séparation et la douleur du souvenir, la nature, la solitude ; de plus, un magnifique bonus inédit, puisé dans les archives privées du chanteur, reprenant six extraits du Dichterliebe, enregistré en 1994 et accompagné par le pianiste Jan Philip Schulze, complète cet enregistrement autorisant une comparaison riche d'enseignements entre la voix du ténor en 1994 et celle d'aujourd'hui, sorte d'autoportrait qui oppose la ferveur lumineuse de la jeunesse à la profondeur pleine de nuances de la maturité.
Curieusement cet enregistrement du Dichterliebe est le premier enregistrement officiel du cycle schumannien par le ténor allemand ; un enregistrement un peu particulier puisqu'il eut lieu dans une maison privée (confinement de 2020 oblige !) en Bavière. On est d'emblée séduit, n'en déplaise à ses détracteurs, par la qualité vocale exceptionnelle (timbre, puissance, ambitus, diction, longueur de souffle, legato, pianissimi filés) comme par l'incarnation saisissante de justesse et de sensibilité du ténor, soutenu par la complicité sans faille d'Helmut Deutsch. Tous deux symbiotiquement unis dans une lecture douloureuse où chaque poème est vécu comme une entité avec son ton propre, son histoire, ses nuances, où tout s'exprime par la voix, depuis la légèreté dansante jusqu'à l'accablement le plus sombre, pour s'achever dans la gravité poignante du cercueil où le poète déposera ses amours, ses souvenirs et ses douleurs…
Plus rarement donnés, contemporain du cycle précédent et du mariage avec Clara, les douze Lieder constituant le cycle des Kerner-Lieder dévoile, paradoxalement, une facette plus introspective et tourmentée de Schumann, s'exprimant sans véritable continuité narrative mais correspondant plutôt à une succession d'évocations (Liederreihe) de l'errance solitaire, de la nature et d'états d'âme spirituels. Là encore, Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch en livrent une lecture puissante, engagée, tragique et très théâtralisée qui suscite immédiatement l'admiration. L'émotion atteint son climax dans un « Stille Tränen » à tirer les larmes.

Plus de réserves en revanche pour le Schwannengesang de Franz Schubert (1828) revu et corrigé par Claus Guth (DVD). Non pas tant au niveau de la voix du ténor qui reste magnifique, ni de l'incarnation scénique impressionnante, qu'au niveau de la mise en espace qui n'apporte, in fine, rien de bien nouveau en dehors de donner un semblant d'unité à cet ensemble de quatorze Lieder un peu hétéroclites, sans thème unificateur, composés sur des textes de Rellstab, Heine et Seidl, dont le nom un peu accrocheur de Chant du cygne fut donné, après la mort du compositeur, par l'éditeur Tobias Haslinger, qui souhaitait le présenter comme une œuvre testamentaire. Ce DVD est tiré du spectacle donné en 2023 dans le hall du Park Avenue Armory de New-York : sorte de mise en espace sonorisée de Claus Guth, exaltée par les éclairages de Urs Schönebaum, les costumes de Constance Hoffmann et la musique additionnelle de Mathis Nitschke. La scénographie de Michael Levine est constituée d'une grande salle d'un hôpital de campagne (probablement lors de la Grande Guerre) dans laquelle sont hospitalisés nombre de soldats, dont Jonas Kaufmann, tous victimes d'un syndrome post-traumatique, en proie à la peur, à l'angoisse et aux hallucinations. Bref, une vision soumise à caution qui constitue cependant, à ce jour, la seule version scénarisée du Schwannengesang (auquel s'ajoutent le lied Herbst de Heine et l'Andante de la Sonate D 960) … Alors pourquoi s'en priver ?









