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Josef Strauss – Le monde d’hier

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Johann Strauss fils ; Josef Strauss : Valses viennoises et polkasWiener Streichsextett ; Rudolf Leopold (harmonium) ; Teresa Turner-Jones (piano) 1 CD Pan classics 510 159

 
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Josef Strauss - Le monde d'hierNe pas se fier à la couverture, qui s'inspirerait presque d'une toile de Degas représentant des couples enlacés tournoyant frénétiquement, pour s'adonner aux délices de la danse. En contraste saisissant, les œuvres revisitées par le Wiener Streichsextett tiennent, ici, davantage de la musique de chambre que du divertissement factice. Bien plus, cette réussite magistrale, un de plus à l'actif du label helvétique, tient du document historico-sociologique et culturel, miroir d'une civilisation en perdition : la Vienne délétère des années 1870. Début d'une longue agonie (environnement économique instable, velléités hégémoniques de la Prusse, bourgeoisie corrompue et oisive) : l'effondrement de l'Empire austro-hongrois.

L'époque de Sadowa reflète la psychologie d'une société en pleine déliquescence, à la recherche de distraction frivole. La valse est un artifice, un exutoire comparable à une ultime tentative désespérée d'oublier la montée des périls qui se profile à un horizon qui n'a rien de chimérique. D'où cette prolifération d'opérettes de la tribu des Strauss (La Chauve-Souris), Strauss (Oskar cette fois), et autres Kalman, Von Suppé et le célèbre Franz Lehàr (La Veuve joyeuse). Or ici, le divertissement se transforme en carrousel infernal, en manège mortifère, en danse névrotique ayant pour dénominateur commun la nostalgie d'un paradis perdu, d'un bonheur éphémère et fuyant. L'atmosphère est proche du magnifique film de Carol Reed, Le Troisième Homme (1949) avec Orson Welles – à l'image de ces interminables travellings sur les dédales de rues de la Vienne fantomatique de l'immédiat après-guerre. Et l'on songe à l'ouvrage de – auteur torturé par le souvenir – Le Monde d'Hier, écho d'une époque définitivement révolue.

Autre atout du présent enregistrement, il pulvérise le préjugé tenace d'un type musical parfois suspect, aux frêles, languides mais joliment inconsistantes. Exeunt la guimauve, le rococo déplacé, le coté salonnard et mondain. La plage 2 Schnell-Polka et ses accords brumeux, déstructurés semblent surgir des paysages désolés de Bartok, ou de Kodaly. Le sommet du disque : les adaptations de Webern et Berg – plages 7 et 8. Souci absolu de rigueur, d'authenticité, de simplicité et de coloration poétique. En fait, elles dévoilent des partitions raffinées, élaborées, souvent dénaturées par une surcharge de sentimentalité, hors de propos. Allusion à un ratage de Karajan en la matière (DG 1987), avec des tempi discutables, à la baguette lourde et un orchestre pâteux – pourtant la philharmonique de Berlin !

Les interprétations du Wiener Streichsextett sont à la hauteur du défi lancé. Jouer Strauss comme du Schubert, porte-parole de l'esprit viennois, avec un et un délié et acéré, une suavité graduellement dosée. A chaque fois, les légères, tourbillonnantes de valse ou de polka éclatent comme par enchantement. Elles resurgissent, comme métamorphosées, pour déployer un lyrisme meurtri, glaçant – morbide même,. La dernière plage l'illustre parfaitement, Wein, Weib und Gesang. Valse en trois mouvements soutenue par les bruissements insolites du piano et de l'harmonium. S'avance un prélude grave et mélancolique, pastoral, puis lui succède un bref et inattendu choral liturgique, empreint de religiosité. Enfin, subrepticement, se fait jour une timide esquisse de valse accouchant d'un motorisme véhément, voire forcené. Un véritable rodéo jubilatoire ! Cette exaltante lecture, subversive, osant l'émotion, dépoussière «  les rois de la valse  » à bon escient. Ils gagnent une ambivalence inattendue, une musicalité d'une inédite puissance. Avec le disque de Zig Zag Territoires sur la dynastie Strauss et la Duchesse de Chicago de Kalman (Decca), un indispensable.

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