La Scène, Opéra, Opéras

Une sombre affaire

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Toronto, Hummingbird Centre. 31-III-2005. Giuseppe Verdi (1823-1901) : Il Trovatore, opéra en quatre actes sur un livret de Salvatore Cammarano. Mise en scène : Stephen Lawless  ; décors : Benoît Dugargyn  ; costumes : Martin Pakledinaz  ; lumières : Joan Sullivan Genthe et Michael McNamara . Avec : Robert Pomakov, Ferrando ; Joni Henson, Inez ; Eszter Sümegi, Leonora ; Daniel Sutin, Conte Di Luna ; Mikhail Agafonov, Manrico ; Irina Mishura, Azucena ; Victor Micallef, Ruiz ; Robert Gleadow, le vieux gitan ; Stefen McClare, le messager. Chœur de la Canadian Opera Company (chef de chœur : Sandra Horst), Orchestre de la Canadian Opera Company, direction : Richard Bradshaw

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L'intarissable génie de Verdi, dont le flot mélodique coule à plein bord dans cette œuvre de sang et de feu, contraste avec les invraisemblances d'une intrigue complexe mais dont on ne peut pourtant pas dire, contrairement aux idées reçues, qu'elle n'est pas cohérente du début à la fin.

Ce qu'on est censé savoir au moment où l'opéra commence, Ferrando nous le raconte dès le Ier acte. Le drame qui se déroule ensuite sous nos yeux n'en est que la suite logique et exprime des passions qu'on retrouve dans la plupart des autres œuvres du compositeur, celles en tout cas dont les personnages connaissent un destin tragique. Le chemin pour y parvenir est peut-être un peu tortueux, mais la façon toujours aussi émouvante. C'est d'ailleurs ce côté funeste que souligne la mise en scène. La symbolique est déjà en place dès notre entrée en salle à la vue de toutes ces épées cruciformes plantées sur la scène plongée dans la pénombre. C'est aussi le côté sombre de chacun des personnages qu'elle amplifie. Chez Manrico, c'est cette espèce d'incapacité malsaine d'arriver à se connaître. Du Comte on retient presque exclusivement la haine farouche qu'il voue à son rival. Paradoxalement Leonora devient un personnage quasi extérieur au drame, celle néanmoins par qui le malheur arrive. Chez Azucena la vengeance l'emporte sur l'amour pour l'enfant qu'elle a élevé. On sait comment Verdi voulait que ces deux sentiments contradictoires soient entretenus par son librettiste jusqu'à la fin de l'opéra. Tel n'est pas le cas ici. Obnubilée par son ressentiment, la gitane n'est jamais physiquement proche de lui. Elle a en quelque sorte des préoccupations d'un autre ordre.

La sévérité des décors et des éclairages très atténués renforcent la morosité des personnages. Point de châteaux ou de forteresse ni de couvent, uniquement de hauts panneaux amovibles occupant partiellement l'espace ou totalement le fond de la scène selon le cas. Ils sont percés de portes qui, ouvertes, laissent filtrer une lumière venue des coulisses. C'est d'ailleurs en ces instants que des éclairages un peu plus prononcés envahissent la scène. Une excellente direction d'acteur nous vaut un engagement constant de la part des chanteurs presque toujours en mouvement surtout dans les moments où l'action l'exige. Quelques tableaux d'une remarquable intensité rehaussent, s'il est besoin, la qualité visuelle du spectacle. La chorégraphie des soldats alignés sur six rangées au début du troisième acte, la très belle scène de la chapelle avec une immense croix qui émerge de la pénombre et la superbe représentation du quatrième acte montrant au sol, derrière Leonora et cette même croix brisée, les cadavres d'hommes et de femmes victimes du combat qui a marqué la défaite de Manrico dans l'acte précédent, sont d'une stupéfiante beauté.

Au niveau vocal, le plateau est de premier ordre. Les honneurs reviennent tout d'abord à la mezzo-soprano russe Irina Mishura dont l'incarnation est remarquable d'intensité. Le timbre est magnifique, un rien strident dans les aigus, et nous gratifie des moments vocaux les plus palpitants de la soirée. Impressionnante de voix et de jeu, Eszter Sümegi, remplaçant Doina Dimitriu, ne démérite pas en Leonora ; elle possède l'agilité vocale requise pour donner à ce rôle tout son éclat, même si dramatiquement elle reste un peu en retrait. en Manrico projette une voix bien timbrée, mais qui manque parfois d'homogénéité. Lorsque l'aigu est sollicité la voix devient plus terne et son contre-ut un peu limite du Di quella pira manque de puissance et est très court. La prestation de Daniel Suttin en Luna, à la place de Robert Hyman malade, constitue vraiment une très agréable surprise. Ce chanteur américain peu connu et qui fait carrière au Metropolitan Opera dans des rôles secondaires donne ici la pleine mesure de ses belles capacités vocales et dramatiques. Sa caractérisation augmente d'acte en acte tout comme cette rancœur qui s'amplifie à l'égard de Manrico. Doté d'une présence scénique alerte, chante et joue Ferrando avec aplomb. Les rôles secondaires sont tenus de façon impeccable.

Le chœur de la Canadian Opera Company est tout simplement impressionnant. Quelle splendeur au plan vocal et quelle belle insertion dans le drame! Il est réjouissant de réaliser enfin qu'un chœur d'opéra peut être intimement intégré à l'action et qu'il arrive à faire frissonner non seulement par son éclat mais aussi par sa présence active sur scène. À la direction Richard Bradshaw s'applique à ne jamais couvrir les chanteurs, mais il a parfois tendance à les bousculer quelque peu. On reste étonné d'entendre Stride la vampa sur un rythme aussi rapide et il a vraiment fallu toute l'agilité et l'expérience d'Irina Mishura pour en donner une interprétation très réussie. C'est aussi une certaine précipitation à la fin des actes, là où l'orchestration brille de tous ses feux, qui nous fait perdre quelques splendeurs harmoniques. La musique de Verdi est ainsi faite qu'elle peut conduire à une forme d'emportement. Il convient toutefois de ne pas se méprendre sur la direction de M. Bradshaw qui reste en général de haut niveau tout comme l'ensemble de la production d'ailleurs.

Crédit photographique : © Michael Cooper pour la Canadian Opera Company

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