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Mario Labbé, fondateur d’Analekta

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est le fondateur d'Analekta, une compagnie de disques qui a pignon sur rue à Montréal, depuis plus de vingt ans. Aujourd'hui, la maison est devenue une des figures de proue de la musique classique.

« Faites un label axé sur vos musiciens et non pas sur le catalogue » : j'ai suivi le  conseil de Pascal Verrot et je ne le regrette pas

Son catalogue compte plus de quatre cents cinquante titres dont certains enregistrements sont devenus des références, des incontournables. On pense au Ravel d'André Laplante, le Vivaldi et le Haendel de Karina Gauvin. Enfin Analekta (analecta, anthologie savante, morceaux choisis) fait partie des quelques compagnies indépendantes très sélectes, dont le prestige et la réputation ne sont plus à démontrer.

ResMusica : Étiez-vous prédestiné à devenir le grand patron d'Analekta ? Qu'est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l'aventure du marché du disque, qui, selon tous les experts, est une industrie en crise depuis au moins vingt ans, ce qui coïncide avec les débuts de la compagnie ?

 : Analekta a été fondé en 1987. Auparavant, j'étais imprésario, j'étais le plus grand utilisateur de Place des Arts. Je faisais quatre-vingts soirs par année, ici à Montréal, et quelque trois cents concerts à travers le Canada annuellement. Je faisais venir les grandes compagnies de ballet à Montréal en plus des tournées à travers tout le pays. Du ballet moderne au classique, de Martha Graham au ballet Kirov, et aussi les grands orchestres, l'Orchestre Philharmonique de Moscou. J'ai invité des grands chanteurs, Kiri Te Kanawa, José Van Dam, des Broadway, etc. Pour revenir au début de la compagnie, c'est par un pur hasard. C'était en 1987, je négociais un contrat de disque mondial pour Angèle Dubeau, notre grande violoniste, avec le président d'une multinationale. Mais celui-ci a été remplacé et le nouveau président m'a signifié clairement qu'il ne signait plus de contrats avec des «artistes régionaux» qu'il n'y avait pas de place pour les artistes canadiens. En dehors de Londres, Paris ou New York, point de salut. Le président semblait ignorer qu'Oscar Peterson tout comme Glenn Gould étaient canadiens. Les événements se sont précipités. Angèle Dubeau était en studio à faire son premier enregistrement des Sonates françaises, de Leclair, Debussy et Fauré. Au même moment, j'organisais les Chœurs de l'Armée Rouge faisaient une tournée en Amérique. Ils avaient fait des concerts partout. À Vancouver, CBC Radio-Canada venait d'installer la première suite d'enregistrement digital au Canada. C'est dans cet amphithéâtre, qu'on a testé le son avec les Chœurs de l'Armée Rouge. Je me suis retrouvé avec la bande maîtresse. Entre temps, je voulais toujours négocié un contrat de disque avec une autre multinationale pour Angèle Dubeau. La réponse a été évasive. On tergiversait. On ne voulait pas s'engager.

RM : De quelle compagnie s'agit-il ?

ML : C'est inutile de la citer. De toute façon, elles sont toutes entrain de mourir (rires). Après quelque temps de réflexion, je me suis aperçu qu'on n'avait pas de maison de disques sérieuses au Canada. J'ai pris la décision d'en créer une. Dans les mois qui ont suivi, je rencontre José Van Dam, en tournée de promotion pour le film Le Maître de musique. En le raccompagnant à son hôtel, le soir, il me dit, «écoutez, c'est mon soixante-quinzième disques de la musique de ce film (il s'agissait de la bande maîtresse). Il n'y en a pas cinq que je trouve à mon goût, celle-ci, je la trouve géniale». J'ai acheté les droits pour l'Amérique du Nord, ne sachant pas ce que je faisais. Et c'est avec ces trois disques, Le Chœur de l'Armée Rouge, Les Sonates françaises avec Angèle Dubeau et la bande sonore du film Le Maître de musique que tout a commencé. La première année, en 1988, j'ai vendu cent vingt-cinq mille disques avec ces trois premières parutions.

RM : Il n'y avait pas de subventions gouvernementales ?

ML : Non, absolument rien. J'ai investi l'argent de ma poche. C'était risqué. Et comme ça a marché, j'ai réinvesti les profits. Je ne connaissais pas vraiment l'industrie du disque. J'étais imprésario, pas producteur de disques. Mais j'avais la ferme intention de faire d'Analekta, une maison spécialisée en musique classique. Et je suis allé voir Michel Garcin à Paris qui est le fondateur d'Erato. C'était le modèle que j'avais en tête. Je l'ai engagé la même année pour faire mon premier disque avec l'Orchestre Symphonique de Québec avec Pascal Verrot. On a enregistré Le Festin de l'araignée de Roussel. C'est lui qui a fait la production pour nous. Il était déjà âgé à l'époque. Et c'est lui qui m'a dit quoi faire et comment faire. Ça a été mon mentor. Je me suis beaucoup inspiré de lui. Il m'a dit qu'il fallait que la qualité technique, de production, et artistique, bref, que tout soit impeccable. Et aussi de se spécialiser avec nos grands musiciens. «Faites un label axé sur vos musiciens et non pas sur le catalogue.» Les multinationales font le catalogue, des compositeurs de la lettre A à Z. J'ai suivi son conseil et je ne le regrette pas.

RM : Vous laissez une place prépondérante aux artistes d'ici. On pense à André Laplante, Karina Gauvin, Lyne Fortin, Alain Lefèvre et bien sûr, Angèle Dubeau. Je suppose que ce ne sont pas les seuls critères pour faire partie de l'écurie Analekta ? 

ML : Quand ils ne sont pas Canadiens, je les naturalise (sourire). Il y a eu Alain Marion, qui était un grand ami. Il venait chaque année au Québec. Généralement, on essaie de faire affaire avec des Canadiens. Une des dernières parutions, l'ensemble américain, The Bach Choir of Bethlehem, pourrait être une exception, mais les solistes sont en majorité canadiens. Mais Analekta se veut le label des grands artistes canadiens. On est mondialement connu comme tel et c'est la voie que j'entends poursuivre. Je prends l'exemple des sonates de Brahms avec André Laplante. La qualité de l'enregistrement est excellente. D'ailleurs, ce disque a été encensé par Grammophon comme le meilleur enregistrement de Brahms de tous les temps.

RM : Pense-t-on obligatoirement au profit que peuvent générer tel ou tel artiste ou sert-on un idéal quand on fait ce métier très particulier ?

ML : Avant de fonder ma compagnie, on a bien essayé de me décourager. On me disait, «es-tu sûr que tu veux mettre ton argent là-dedans ?» Mais j'en avais assez du show business, de me coucher le soir en pensant aux deux millions de dollars en jeu ! J'avais surtout l'impression d'avoir rien bâti. Vous savez comment on appelle les billets invendus dans le show business ? On appelle ça du death wood. C'est ce qui me restait. Au contraire, avec le monde du disque, j'ai été happé, fasciné immédiatement. J'avais l'impression de faire quelque chose, de rendre service. Quand j'ai fait des disques avec Anton Kuerti, – c'est le plus grand pianiste d'ici après Glenn Gould – il ne trouvait pas de maison de disque qui voulait l'enregistrer. On bâtit ou on supporte de très grandes carrières internationales. C'est très satisfaisant. Pour faire ce métier, il faut être passionné. Un succès en musique classique, c'est 5 000 exemplaires, pas 100 000. Angèle Dubeau est une exception, pas seulement au Canada mais dans le monde. Elle est rendue à 450 000 disques vendus en carrière. C'est exceptionnel. Et elle ne fait pas du cross over – l'emballage donne dans le cross over mais le contenu ne l'est pas ! Si on n'a pas la passion, c'est inutile, vaut mieux changer de métier, vendre des ordinateurs ! Je n'avais pas de barrières psychologiques pour vendre mes disques. Je me suis servi des mêmes outils utilisés en musique pop. On nous a reproché cette approche de mise en marché. Ce sont des snobs, des bien-pensants qui ont été choquées. D'ailleurs, il en reste encore un à «La Presse» [NDLR : quotidien francophone du Canada].

RM : On ne le nommera pas.

ML : C'est Telemann qui disait que la musique ne doit pas être l'apanage d'une élite. L'art est le bien de tous.

RM : On annonce la mort du CD et la dématérialisation de la musique. Mais il y a aussi d'autres formats qui ont fait leur apparition. Le SACD, le DVD et aujourd'hui le Blu-ray. Est-ce la voie de l'avenir ?

ML : Les changements ne me font pas peur. Ne me parlez plus de supports. Cela n'existera plus. Dès le mois prochain, vous pourrez venir sur alalekta. com et acheter en qualité lossLess. C'est à la source même de l'ordinateur de mon producteur. C'est mieux que tout. On n'aura jamais mis sur le marché une qualité sonore aussi grande. C'est mieux que le Blu-ray ou que tout support existant. Vous savez que le CD est ringard ? J'ai une fille de 17 ans qui ne s'est jamais servie de cette chose désuète, dépassée pour les jeunes. C'est ringard. C'est fini. Oubliez ça !

RM : Une question beaucoup plus personnelle. Êtes-vous issu d'un milieu musical ? 

ML : Absolument pas. Je viens d'un milieu ouvrier. Je suis né à Gaspé. Et j'ai vécu à Murdochville (En Gaspésie). Mon père travaillait à la mine.

RM : Vos premières émotions musicales remontent à quelle époque ?

ML : Très jeune. J'ai été attiré très tôt par la musique. Ma première œuvre ? Le Vaisseau fantôme de Wagner. Des chanteurs populaires québécois à Pink Floyd. Mais quand je suis parti à mon compte, je me suis orienté vers les compagnies de ballet. C'est un art, une discipline que j'adore. Beaucoup plus tard, j'ai compris beaucoup mieux la musique L'élément déclencheur fut le Concerto pour violon de Sibelius.

 

Le petit questionnaire de Marcel Proust

RM : Quel est votre instrument de musique préféré ? 
ML : Le violon.

RM : Je ne vous demanderai pas ne nom de votre violoniste préférée ?
ML : Angèle Dubeau. Je ne dirai pas Anne-Sophie Mutter. Angèle ne m'aimera pas ! (rires)

RM : Quel est votre idéal de bonheur terrestre ? 
ML : Être au sommet d'une montagne.

RM : Sur une île déserte, quelle œuvre musicale apporteriez-vous ? Cela peut être tout l'œuvre d'un compositeur.
ML : Jean-Sébastien Bach et Philip Glass.

RM : Quelles sont (en dehors de la musique) vos occupations préférées ? 
ML : L'alpinisme.

RM : Si vous étiez un animal, lequel aimeriez-vous être ? 
ML : Un faucon.

RM : Si vous étiez ténor, vous seriez … ? 
ML : Évidemment Pavarotti. Et aussi Caruso.

RM : Si vous étiez soprano, vous seriez… ? 
ML : Kiri Te Kanawa. Et aussi Karina Gauvin.

RM : À quel personnage d'opéra vous identifiez-vous le plus ? 
ML : Don Giovanni.

RM : Quel musicien auriez-vous aimé rencontrer ? 
ML : Ginette Neveu. On m'a tellement dit qu'Angèle Dubeau était la réincarnation de Ginette Neveu.

RM : Quelles sont les qualités que vous admirez le plus chez les humains ? 
ML : La générosité.

RM : Comment aimeriez-vous mourir ? 
ML : De vieillesse.

RM : Au Paradis, vos premiers mots à Dieu ? 
ML : Il n'existe pas. Il est mort.

RM : Aimez-vous la musique ?
ML :  : Oui j'aime la musique

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