Éditos

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L’homme de la ville qui n’est pas spécialement intéressé par la musique classique est très sollicité en cette période d’ouverture des abonnements pour la saison prochaine, mais selon des procédés qui laissent songeurs. S’il circule dans la rue parisienne, une fameuse maison d’opéra a placardé à son intention de grandes affiches qui se résument à un mot d’ordre simple sur un fond de couleur neutre : « Abonnez-vous ». S’il va au cinéma, une publicité l’invite à venir assister à des opéras célèbres sur grand écran : il voit défiler une liste d’œuvres sur des flammes orangées avec en fond sonore une jolie musique hollywoodo-chinoise. Si, mû par la curiosité, il pousse la porte d’une salle de concert symphonique, il y trouve de belles brochures déroulant les programmations de la prochaine saison, énumérant dates et noms selon le principe du bottin téléphonique. Par où commencer, se demande-t-il ? Il cherche un point d’entrée dans cet univers, il y aurait bien quelques concerts d’initiation mais ils sont pour le jeune public, et il  a perdu ses dents de lait depuis longtemps. Il repart.

Prenons un peu de recul. Quelle banque oserait accrocher le badaud avec pour seul message : « Empruntez ! » ? Quel chanteur imaginerait vendre ses disques en donnant comme extrait la musique d’un autre style et d’une autre époque ? Comment croire que le désintérêt croissant des élites françaises pour la musique classique, qui se manifeste du plus haut niveau de l’Etat et descend logiquement jusqu’à la formation musicale dans les écoles,  pourra être compensé par quelques concerts le week-end à destination du jeune public ? Il est bon d’être optimiste sur l’avenir et compréhensible qu’on peut croire que les recettes d’hier sont toujours valables aujourd’hui, mais les programmateurs de la musique classique pêchent par un extraordinaire excès de confiance sur leur avenir.

Il est encore temps de faire feu de tout bois (enfin, pas du bois d’instrument à cordes!). Il faut arrêter cette dichotomie simpliste selon laquelle le public qui se limiterait à deux catégories, les moins de 12 ans et les adultes. Il est temps de comprendre que les nouvelles générations de mélomanes n’iront plus dans les salles de concerts comme nos ancêtres allaient à la messe, par convention sociale. La musique classique ne sera bientôt plus une affaire de culture et de mimétisme – exception faite de l’opéra pour quelques lustres encore  – mais d’émotion, pour vivre une expérience qui vous fait vivre plus intensément. Beethoven et Mozart resteront universels, mais moins directement qu’il y a cinquante ans, et les voies pour y accéder seront désormais multiples. Au fur et à mesure que le temps nous éloignera de ces géants, les acteurs de la musique devront redoubler de créativité pour que tous les publics, génération après génération, accèdent à leur façon à leur musique. Cela passera aussi par les programmer moins souvent, et mettre en avant et faire découvrir les compositeurs qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui et sont autant de relais entre eux et nous.

Quelques frémissements sont toutefois perceptibles. Telle formation symphonique parisienne dirigée par un chef nordique illustre son programme avec les musiciens de l’orchestre jouant dans la rue, marquant une volonté de rencontre avec le badaud. Telle autre en région atlantique construit sa saison autour de la littérature, expression culturelle que la France affectionne. Telle institution d’opéra parisienne proposant des œuvres plus légères (dira-t-on comique ?) veille à développer des activités autour de ses soirées, qui visent à nous rendre plus cultivés à l’insu de notre plein gré. Il faut aller beaucoup plus loin, et beaucoup plus vite, à l’instar de ce qui se passe en Suisse, aux Etats-Unis et en Asie. Osons croire que nous tenons là les premiers signes d’un printemps de la musique classique.

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