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Frieder Bernius dans une Missa solemnis jubilatoire mais univoque

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Missa solemnis en ré majeur, opus 123. Avec : Johanna Winkel, soprano ; Sophie Harmsen, mezzo-soprano ; Sebastien Kohlhepp, ténor ; Arttu Katija, basse. Kammerchor Stuttgart. Hofkapelle Stuttgart ; direction : Frieder Bernius. 1 CD Carus. Enregistré au Kloster d’Alpirsbach les 16 et 17 octobre 2018. Textes de présentation en allemand et anglais. Durée : 67:47

 
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Huit ans après une version remarquable de la Messe en ut du même Beethoven, , à la tête de son Kammerchor et de sa Hofkappelle de Stuttgart, s'attaque à la monumentale Missa Solemnis opus 123 : une relecture basée sur la récente édition «Urtext » établie pour le même éditeur Carus Verlag par Ernst Herrtrich.

beethoven missa solemnis bernius« Venue du cœur, qu'elle retourne au cœur », comme l'écrit Beethoven en exergue du Kyrie : la Missa Solemnis occupa le compositeur de 1818 à 1823, au sortir d'une crise personnelle et créatrice sans précédent. Le prétexte moteur de la création en était l'intronisation du mécène du compositeur, l'archiduc Rodolphe de Habsbourg comme prince-archevêque d'Olmütz (Olomouc). Néanmoins, l'ampleur prise par la tâche et par la partition en différa sensiblement la création et destina d'emblée l'œuvre plutôt au concert qu'à l'office. L'œuvre entière ne fut créée qu'en 1824 à Saint-Pétersbourg, en concert et en l'absence d'un Beethoven totalement sourd. Sœur spirituelle « régulière » de la Symphonie n° 9, elle est aussi une sorte d'illustration du salut pour l'Humanité par une Immatérielle Joie, malgré la hantise d'une totale destruction potentielle des idéaux démocratiques en ces temps politiquement troublés, comme semblent l'indiquer les deux incises martiales, moments de pure panique musicale, au sein même du Dona nobis pacem conclusif.

dans un passionnant texte d'accompagnement, hélas uniquement disponible en allemand et anglais, cible d'emblée son approche. Il s'agit d'une part de rappeler les sources mêmes du langage choisi par Beethoven (les antiennes grégoriennes-début du Credo ou du Sanctus-, ou les chœurs grandioses des oratorios de Haendel, auxquelles nous ajouterions volontiers, sur le plan de l'orchestration les dernières messes de Joseph Haydn), plutôt que d'envisager sous ses aspects prospectifs et visionnaires la Missa Solemnis à l'orée du romantisme. Le chef entend cerner l'articulation du discours et des phrasés dans une expressivité plus instrumentale que purement vocale. Mais, malgré la beauté très plastique du chœur, délibérément senza vibrato, cette approche nous apparaît limitative. Toute cette débauche d'énergie orchestrale (le martèlement des timbales, très sèches et par moment envahissantes, les fanfares de cuivres à perce étroite, vindicatives) ne va pas pour le chœur, même dans une rééquilibrage certain des forces en présence, sans quelques baisses de tensions voire une perceptible fatigue des pupitres aigus (les soprani dans la fugue Cum sancto spirito du Gloria).

Voulant sans doute rapprocher l'œuvre de sa destination sacrée première, et dans le souci d'un roide respect métronomique, le chef impose des tempi d'enfer – sensiblement plus soutenus dans les sections vives que ceux de Gardiner, Herreweghe, ou Suzuki pour parler de chefs aux approches historiquement informées. L'œuvre évolue sous les 70 minutes, là où Klemperer, Karajan, Böhm, Giulini Davis ou même Harnoncourt en sa première version en mettaient plus de 80 pour venir à bout de l'imposante partition ! Cette urgence à tout crin tourne parfois au prosaïsme (Kyrie manquant d'élévation, début du Sanctus expédié) ou quelque précipitation dans les sections fuguées finales d'un Gloria univoquement jubilatoire et d'un Credo, certes bien plus détaillé et ouvragé, au prix toutefois d'un certain morcellement de la pensée musicale, plus narrative que rhétorique. Quant à l'instrumentarium à l'ancienne, il connait çà et là ses limites : exemple frappant, malgré tout le talent de Daniel Sepec, konzetmeister avisé, le long et admirable solo de violon du Benedictus semble, pour ce violon tendu à l'ancienne et en l'absence de tout vibrato, toujours évoluer sur le fil du rasoir.

Le quatuor de solistes est en général en phase avec l'approche « blanche » et non vibrée voulue par Bernius. est idéale d'angélisme mais ne peut faire oublier ailleurs (chez Böhm, Vienne- DGG 1974) ou par deux fois chez Karajan (DG, 1965 et Warner, 1975). défend vaillamment sa partie d'alto dans un approche similaire à celle de la remarquable Birgit Remmert (Herreweghe I, HM, 1994), là où le style héroïque mais presque mozartien de Sébastien Kohlhepp fait mouche. Seule la basse finnoise Arttu Kataja par son léger vibrato et la franchise tranchante de son engagement, nous semble un peu hors style face aux intentions du chef, et ne va pas sans rappeler un Martti Talvela dans la mythique version studio d' (Warner, 1965). La prise de son, agréablement réverbérée mais parfois un peu confuse, privilégie par trop les pupitres aigus du chœur au détriment de l'éclairage polyphonique, et s'autorise pour l'orchestre quelques cinglants coups de phare, trop spectaculaires, sur certains détails à l'orchestre au détriment de l'image sonore globale.

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Missa solemnis en ré majeur, opus 123. Avec : Johanna Winkel, soprano ; Sophie Harmsen, mezzo-soprano ; Sebastien Kohlhepp, ténor ; Arttu Katija, basse. Kammerchor Stuttgart. Hofkapelle Stuttgart ; direction : Frieder Bernius. 1 CD Carus. Enregistré au Kloster d’Alpirsbach les 16 et 17 octobre 2018. Textes de présentation en allemand et anglais. Durée : 67:47

 
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