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Paul Lewis magnifie trois sonates « de jeunesse » de Schubert

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Franz Schubert (1797-1828) : Sonate en la majeur D. 664 ; Sonate en mi bémol majeur D. 568 ; Sonate en la mineur D. 537. Paul Lewis, piano. 1 CD Harmonia Mundi. Enregistré en avril 2022 au Studio 4 Flagey à Bruxelles. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 76:44

 
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Avec ces trois œuvres de 1817 et 1819, le pianiste poursuit et parachève un beau parcours entamé il y a plus de vingt ans dans les sonates de Schubert.

Jusqu'au cœur du XXᵉ siècle la musique pour piano de Schubert a souffert de lourds préjugés, voire d'un profond mépris de la part des musicologues et des interprètes. On ne jouait que des mouvements isolés de sonates sortis de leur contexte, réduites à de petites pièces de salon. On leur reprochait leur manque de profondeur et surtout d'être trop faciles à jouer quand on avait d'yeux et d'oreilles que pour les grands virtuoses. Même Arthur Schnabel, qui commença à les faire connaître n'était pas parvenu à faire apprécier des sonates entières au grand public. Fort heureusement, les choses ont bien changé, grâce à Lili Kraus, Willem Kempf, Sviatoslav Richter, Alfred Brendel, Paul Badura-Skoda, Elisabeth Leonskaia, Maria Joao Pires et bien d'autres. Mais force est de reconnaître que ces œuvres intimes, toutes d'introspection ne sont pas immédiatement abordables.

Ces sonates se présentent dépourvues de fulgurances acrobatiques. On y chercherait en vain des gammes étincelantes, des tempêtes d'accords furieux. Schubert y parle le langage du poète, intime et méditatif. Leurs rares passages agités sont dus toujours à l'explosion du sentiment, jamais au plaisir narcissique de la virtuosité. Les œuvres de la maturité se distinguent à peine des intuitions géniales de la jeunesse. Il est d'ailleurs difficile de parler de sonates de jeunesse, s'agissant d'un compositeur mort à trente et un ans.

Les années 1816 à 1819 représentent la crise la plus profonde de la carrière de Schubert, qui peine à composer autre chose que des fragments, mais ces années constituent également une période de grande productivité où il explore des possibilités thématiques, techniques et formelles. Il y exprime d'abord le bouillonnement d'une créativité débordante, par laquelle il parvient à conjurer l'ombre pesante de son modèle Beethoven.

Trois joyaux plus complexes qu'il n'y paraît

C'est un jeune homme de tout juste vingt ans qui achève la Sonate en la mineur D. 537 (n° 4), une tonalité importante dans tout le corpus schubertien, qui présente une remarquable cohérence appuyée sur des modèles classiques, malgré de violents contrastes. Magistral d'intensité tragique et poétique, y montre la même transparence analytique que son maître Alfred Brendel.

L'ambitieuse Sonate en mi bémol majeur D. 568 (n° 8) pose quelques difficultés de compréhension. Initialement écrite en ré bémol majeur, Schubert l'abandonna au bout de trois mouvements en juin 1817. Il la reprit plus tard, vraisemblablement dans les dernières semaines de sa vie, la transposant en mi bémol majeur pour une lecture plus facile, retravaillant et étoffant en profondeur les trois mouvements initiaux auxquels il adjoint un quatrième mouvement, un menuet coupé d'un Ländler. Selon une volonté de clarté et d'épanouissement, l'œuvre souffre d'un constant déséquilibre. Malgré une interruption d'une dizaine d'années, elle montre comment le vocabulaire des dernières années rejoint celui de la période intermédiaire. lui restitue toutefois une continuité narrative ponctuée d'accents martiaux et de quelques poussées de fièvre.

La Sonate en la majeur D. 664 (n° 13), qui ouvre le disque fut composée quant à elle en juillet 1819, lors d'une escapade en Haute Autriche que Schubert affectionnait tant, chez le négociant Josef von Koller. Elle est contemporaine du célèbre Quintette en la majeur La Truite D. 667 et dédié à la fille de son hôte Josefine Koller, qui « jouait gentiment du piano ». Malgré une simplicité apparente et une veine d'inspiration dite populaire, la structure conventionnelle et la douceur mélodique, qui fut souvent comparée à l'équilibre mozartien, cachent des éléments d'incertitudes avec ces alternances d'ombre et de lumière et un fréquent brouillage de la tonalité. Paul Lewis parvient à nous y faire deviner le Schubert des dernières sonates. Son phrasé admirable, son formidable sens du détail, la sensibilité de son toucher et son énergie permettent d'entendre des raits passés inaperçus chez d'autres interprètes.

Ce disque couronne à merveille le parcours schubertien exigeant de Paul Lewis. Il donne même envie de réécouter l'ensemble des sonates avec les Impromptus, les Moments musicaux, les Klavierstücke et la Wanderer-Fantaisie.

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Franz Schubert (1797-1828) : Sonate en la majeur D. 664 ; Sonate en mi bémol majeur D. 568 ; Sonate en la mineur D. 537. Paul Lewis, piano. 1 CD Harmonia Mundi. Enregistré en avril 2022 au Studio 4 Flagey à Bruxelles. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 76:44

 
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