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Galaxie orphique au TAP de Poitiers avec l’ensemble Ars Nova

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Poitiers. TAP. 14-V-2025. Benoît Sitzia (né en 1990) : tableau 1 Orphée et Eurydice ; Orpheus Songs, pour Ligeti guitare ; Deirdre McKray (née en 1972) : tableau 2 Le Verdict de minuit ; Gregory Vajda (né en 1973) : tableau 3 La Mort d’Orphée ; d’après The Midnight Verdict de Seamus Heaney ; livret et scénographie Benoît Sitzia ; création lumière, Jérôme Deschamps. Katalin Koltai, guitare Ligeti ; Farnaz Modarresifar, santour ; Ensemble Ars Nova, direction : Gregory Vajda

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Que sait-on vraiment du personnage d'Orphée ou comment célébrer la poésie et la musique à travers le mythe orphique et sous l'angle de la création contemporaine ? C'est le défi que relèvent l'équipe d'Ars Nova et son directeur sur la scène du TAP de Poitiers.

L'aventure s'origine dans le récit du poète irlandais Seamus Heaney (1939-2013), The Midnight Verdict (« Le Verdict de minuit ») de 1939, une adaptation anglaise des Métamorphoses d'Ovide qui sert de trame poétique au spectacle en mots, en musique et en lumière dont conçoit le livret. Le projet sollicite trois compositeurs-compositrice (, , ) et autant d'œuvres nouvelles à l'affiche. Elles vont s'enchaîner selon une trajectoire dictée par l'histoire tragique du demi-dieu qui trouve la mort sur la rive de l'Hèbre, démembré par les Bacchantes mais dont la tête continue de chanter…

Un poème chorégraphique

Pas de récitant ni de voix off pour faire passer le texte mais une projection sur grand écran (calée avec la musique) et des lettres « qui dansent » − elles s'égrènent, coulent comme des larmes, s'escamotent, etc. − que l'auditeur est invité à lire au fil de son écoute. Parmi les neuf musiciens d'Ars Nova (le nombre des cordes de la lyre !) répartis autour du chef , on note deux invitées installées de part et d'autre de la percussionniste Isabelle Cornélis : la guitariste (et sa guitare Ligeti) et la joueuse de santour , en résidence pour un an auprès de l'ensemble.

C'est elle qui débute la soirée sur sa cithare iranienne accordée selon les modes non tempérés de la musique traditionnelle de son pays : l'improvisation est de toute beauté, dans l'épure et l'élégance du phrasé, qui amorce le voyage et nous fait d'emblée toucher le mystère orphique.

Le santour reste très actif dans la première pièce, Orphée et Eurydice, même si le compositeur Benoît Sitzia a choisi comme matériau de base un maquam (mode musical arabe) qu'accompagne le grand tambour libanais sous les doigts d'Isabelle Cornelis. Un souffle oriental traverse cette musique richement orchestrée où s'instaure une joute sonore entre la clarinette dans son registre laryngé (Éric Lamberger) et les cordes en tutti. La trame sonore est narrative, suivant les phases du mythe qu'affiche le texte sur l'écran. Débutant par « une mise à feu » spectaculaire, la pièce d'une quinzaine de minutes se conclut sur des claquements de mains inattendus…

Le Verdict de minuit, deuxième pièce de l'Irlandaise Deirdre McKay est un nocturne, une musique très étale faite de trames oscillantes (bisbigliandi des vents, trémolos du santour, etc.) et de sonorités miroitantes irradiées par les crotales jusqu'à ce que Isabelle Cornélis, marteaux en mains, percute avec énergie une planche de bois dans un épisode central pulsé et quasi jubilatoire. Avant le retour au calme et aux sonorités du début.

Le compositeur hongrois (et chef principal associé d'Ars Nova) a voulu garder le texte anglais d'origine dans La mort d'Orphée. La troisième création est une grande déploration sonore où les claquements de mains (déjà entendus) retentissent en alternance avec le chant profond du violoncelle (Isabelle Veyrier), instaurant d'emblée une dimension rituelle. L'écriture puissamment rythmée (retour du grand tambour libanais) et volontiers répétitive procède par strates instrumentales qui se superposent. « La flûte de Bérécynthe au pavillon recourbé, les tambourins, les claquements de mains, les hurlements des bacchantes ont couvert le son de la cithare », lit-on dans les notes de programme (Livre XI des Métamorphoses d'Ovide). Au mitan de l'œuvre, , qui a changé de santour (et donc d'accord) égrène ses notes dans une progression linéaire, en miroir avec celle de la guitare, dans un temps suspendu traversé par les solos du piccolo (Pierre-Simon Chevry). Reviennent alors les sonorités du rituel (sonnailles et claves) ainsi que les claquements de mains sur lesquels se referme la cérémonie.

C'est la « guitare Ligeti » de en solo qui clôt le spectacle avec ses étagements d'accords complexes rendus possibles grâce aux petits aimants placés sur les cordes de l'instrument qui en modifient la hauteur. Entre lyrisme éperdu et matière bruitée, la courte pièce Orpheus Songs signée Benoît Sitzia (guitariste de formation) est une cavatine, aussi poétique qu'introspective sous les doigts de l'interprète, qui fait écho à la mort d'Orphée et en prolonge le mystère.

Le public exprime chaleureusement son enthousiasme au terme d'un spectacle qu'aucun applaudissement n'est venu interrompre, la scénographie lumière et les ambiances colorées (celles de ) participant de la réussite du projet. Saluons la qualité et l'engagement des musiciens de l'ensemble en grande forme sous la direction de Gregory Vajda dont le charisme du geste n'est pas sans rappeler celui de son maître Peter Eötvös.

Crédit photographique : © Stéfanie Molter –

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Poitiers. TAP. 14-V-2025. Benoît Sitzia (né en 1990) : tableau 1 Orphée et Eurydice ; Orpheus Songs, pour Ligeti guitare ; Deirdre McKray (née en 1972) : tableau 2 Le Verdict de minuit ; Gregory Vajda (né en 1973) : tableau 3 La Mort d’Orphée ; d’après The Midnight Verdict de Seamus Heaney ; livret et scénographie Benoît Sitzia ; création lumière, Jérôme Deschamps. Katalin Koltai, guitare Ligeti ; Farnaz Modarresifar, santour ; Ensemble Ars Nova, direction : Gregory Vajda

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