Festival Chostakovitch de Leipzig : une triomphale 5e par Anna Rakitina et l’Orchestre du Festival
À l'occasion du festival de Leipzig, la jeune cheffe Anna Rakitina dirige l'Orchestre du festival dans l'iconique Symphonie n° 5 de Chostakovitch, précédée en première partie du Concerto pour violoncelle n° 2 interprété en soliste par Gautier Capuçon.

Elle avait triomphé à Tanglewood en 2023 pour son concert d'adieux au BSO dont elle était cheffe assistante depuis 2019, Anna Rakitina récidive aujourd'hui, à 36 ans, pour ses débuts au festival Chostakovitch avec la Symphonie n° 5, à la tête de l'Orchestre du Festival, constitué de jeunes musiciens provenant du Tanglewood Music Center, de la Mendelssohn Orchesterakademie et de la Hochschule für Musik de Leipzig, démontrant ainsi, s'il en était encore besoin, que la valeur n'attend pas le nombre des années.
Le Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2 fut composé en 1966 alors que Chostakovitch vivait une période difficile de sa vie faisant suite à son adhésion, sous pression, au Parti Communiste, période pendant laquelle naquirent de nombreux regrets et des idées suicidaires… Plus méditatif et introverti que le Concerto n° 1 qui eut longtemps les faveurs du public, il fut remis au goût du jour par Rostropovitch qui appréciait particulièrement sa noirceur, son ironie, son introspection douloureuse et son côté parodique. Le Largo initial s'ouvre sur une phrase grave, méditative et peuplée d'ombres énoncée par le soliste. L'orchestre intervient bientôt, d'abord discrètement pour engager un dialogue à mi-voix. On apprécie une fois encore la belle sonorité et le legato de Gautier Capuçon développés sur un tapis de cordes avec un jeu souple et fluide dans un climat pesant, avant que le phrasé ne s'anime sous la pression d'une petite harmonie stridente et des notes acides du xylophone pour se transformer progressivement en un véritable antagonisme marqué par une joute opposant violoncelle et percussions. L'Allegretto voit Gautier Capuçon libérer toute sa virtuosité, jusque-là contenue, dans une sorte de sarabande satanique, parodique, envoûtante et très rythmique, appuyée sur un dialogue serré avec les vents (cor, petite harmonie) et les percussions, menée avec brio et précision par Anna Rakitina, avant qu'une cadence très engagée ne replace le soliste sur le devant de la scène. La section finale amorcée par une belle mélodie recrutant soliste, flute, et basson, alterne ensuite passages lyriques et épisodes plus agités tandis que le xylophone accentue la pression rythmique, obsédante comme celle d'une horloge par son tic-tac lancinant (Chostakovitch était obsédé par les horloges qu'il écoutait la nuit pendant ses insomnies !) avant un retour au calme concluant sereinement cette belle interprétation du violoncelliste français.

La Symphonie n° 5 fut composée en 1937, contemporaine des grandes purges staliniennes et du scandale de Lady Macbeth. Ambiguë, elle peut être vue comme un amendement, inévitable et simulé, du compositeur envers le régime soviétique. Abordée crânement par Anna Rakitina et les jeunes musiciens enthousiastes, le premier mouvement Moderato installe d'emblée un climat lourd d'affliction porté par le lyrisme douloureux des cordes, chargé de tension et de violence contenue, de fausse joie et de souffle vénéneux. On y admire la continuité sans faille du discours, la clarté de la texture (contrechants, harpe), la précision de la mise en place comme celle de l'agencement rigoureux des différents plans sonores, autant que la qualité des performances solistiques individuelles qui, sans égaler bien sur celles du BSO, forcent toutefois l'admiration par le plaisir de jouer communicatif de ces jeunes musiciens : si le pupitre des cuivres montre parfois quelques faiblesses, la petite harmonie (flûte, clarinette, basson, hautbois, piccolo) et les cordes restent irréprochables, avec un admirable pupitre de contrebasses. Puis le phrasé s'anime, parcouru d'angoissants staccatos dans le grave du piano et des cordes, ouvrant sur une marche inexorable (cuivres et percussions) et dévastatrice qui ne laisse subsister que la fragile péroraison du violon solo et du célesta au sein d'un paysage désolé, préludant à un silence sépulcral. Ouvert par les cordes graves, l'Allegretto est un scherzo grinçant, bringuebalant, sarcastique, faussement joyeux, fortement nuancé (nuances dynamiques et rythmiques) qui fait penser à Mahler : motif guilleret aux bois, thème quelque peu vulgaire au cor, élégance et fraicheur du violon solo, avant que le Largo ne déroule sa longue méditation mélancolique initiée par les altos et contrebasses puis élargie au quatuor, imprégnée d'un lyrisme ardent auquel s'adjoignent les bribes mélodiques de la harpe, de la flûte et du hautbois, tandis qu'une effervescence inquiète et angoissée, très tchaïkovskienne referme le mouvement, conclu par les sonorités épurées de la harpe et du célesta. L'Allegro final couronne cette remarquable interprétation par une cavalcade grandiose dont la signification n'est pas univoque, véritable maelstrom musical scandé par de vigoureuses attaques de cordes et des beuglements dévastateurs de cuivres, conduits par Anna Rakitina avec une précision et une énergie hors du commun. De prometteurs débuts chaleureusement ovationnés par le public du Gewandhaus !









