Così fan tutte à Lyon : la confusion des sentiments
Così fan tutte, un opéra pour six personnages ? À Lyon, ce sont 54 personnages qui sont invités par Marie-Ève Signeyrole à participer à l'expérience sociale du professeur Alfonso !
L'École des amants : ayant bien lu le sous-titre de Così fan tutte, Marie-Ève Signeyrole décide de situer toute l'action du chef-d'œuvre longtemps le plus sous-estimé de Mozart dans une école. Et pas n'importe laquelle : une école des Beaux-Arts, un espace des plus propices à l'épanouissement sensuel particulièrement salé de l'œuvre. Un professeur pour six élèves s'avérant un luxe excessif, c'est donc une classe complète (vingt couples) qui occupe les bancs de l'amphithéâtre construit par Fabien Teigné, afin de participer, à la manière du film La Vague, à « une expérience sociale » sur cet art majeur qu'est l'Art d'aimer. Une expérience sociale d'autant plus inédite qu'elle se voit doublée d'une expérience scénique à haut risque : lesdits couples, seulement armés de quelques consignes une heure et demie avant la représentation, n'ont pas répété, Marie-Ève Signeyrole elle-même ne découvrant ses nouveaux élèves qu'à l'heure dite du spectacle ! Mettre en scène Così fan tutte est une entreprise délicate. Le faire avec vingt hommes et vingt femmes qui ne sont pas du métier en est une autre. Et comme si le défi n'était pas assez grand, l'aréopage estudiantin sera renouvelé à chaque représentation ! Convenons-en d'emblée : le procédé fonctionne à tel point qu'il n'est pas loin de constituer la part la plus étonnante de ce spectacle, avec ses huit figurants et ses six chanteurs infiltrés.
Ce soir, les amateurs de la première des six classes prévues se révèlent à la hauteur du défi, conviés à se comporter comme les élèves qu'ils étaient peut-être encore quelques heures plus tôt, avec le plus grand naturel. Loin de les abandonner à un simple statut de spectateur, la mise en scène les met à leur avantage et leur donne moult grain à moudre : réagir à l'infiltration de huit figurants discrètement meneurs, à la présence des chanteurs, tous élèves comme eux, ainsi qu'à la dramaturgie fouillée d'un spectacle conçu comme un séminaire de cinq jours autour d'une batterie de tests proposée par la professeur Alfonso, censée baliser tout parcours amoureux : séparation, empathie, intimité, capacité à s'engager…
On connaît bien la manière de celle qui fut l'assistante de Marthaler, Warlikowski et Sellars. Réalisatrice avant d'être metteuse en scène, Marie-Ève Signeyrole a conservé de ses premiers talents celui qui consiste à vouloir partager avec le public le privilège de la proximité des metteurs en scène avec les chanteurs, au moyen de vidéos (plus besoin de jumelles de théâtre !) qu'elle réalise elle-même en amont ou en direct : dans la grande scène de dortoir du début de l'Acte II, sa caméra infiltrée (ici très logiquement tenue par un étudiant chargé par le professeur de fixer les étapes de l'expérience) peut ainsi observer à loisir la réaction spontanée d'un étudiant observant les protagonistes duettisant à l'avant-plan.
Surmonté de néons diurnes ou d'ampoules nocturnes, ou d'une gracieuse valse d'écrans permettant de lire l'intitulé des tests comme le résultat d'iceux, l'ingénieux amphithéâtre de Fabien Teigné se scinde et pivote à l'envi sur des intérieurs divers (salle de dessin, de travaux pratiques, de bain, dortoir…) et même un extérieur pour la plus belle image du spectacle : accordé à la merveilleuse bande-son de Di scrivermi, les garçons partent à la guerre à bicyclette, pédalant sereinement dans la nuit devant un paysage qui continuera à s'amenuiser dans le lointain sur Soave sia il vento.
Le spectacle passionne de bout en bout même si la volonté de la metteuse en scène de ne rien surligner de la fluidité amoureuse en jeu fait que l'on quitte son école des Beaux-Arts avec quelques interrogations. Quid par exemple de ce marbre masculin exposé en ouverture, démultiplié ensuite, qui ressemble à Guglielmo ? Là où un Carsen ou un Kratzer auraient probablement tiré sur le fil d'une narration montrant comment deux garçons qui, au départ, voulaient piéger leur amoureuses, se découvrent au final amoureux l'un de l'autre (ce que semble suggérer Un' aura amorosa), Marie-Ève Signeyrole privilégie plutôt le non-dit, le trouble, comme celui qui fait plus que gagner Despina face à Dorabella. Quid également de la crédibilité du travestissement ? Si la metteuse en scène dit aussi avoir fait le choix d'y croire, pas sûr qu'il en aille de même pour les deux filles, une barbe pour Ferrando, une perruque pour Guglielmo étant loin d'être un stratagème aussi efficace que celui de Christophe Honoré à Aix, le seul à avoir réussi à maintenir l'illusion jusqu'au bout.
Ce Così pour les jeunes, aux antipodes de celui de Tcherniakov pour les vieux, a fixé la moyenne d'âge des élèves d'Alfonso à 32 ans. Les chanteurs paraissent n'en avoir guère davantage. Remarquée dans Ariodante, on était loin d'imaginer Tamara Banješević en Fiordiligi : c'est chose faite, un Come scoglio haletant et un Per pietà engagé au plus profond de l'âme révélant une soprano à l'ambitus étonnant. Deepa Johnny est à l'aise en Dorabella, même lorsqu'il s'agit d'ajouter à la performance vocale la mise en danger physique de l'infiltration estudiantine avec des anonymes. Leurs partenaires masculins n'ont pas non plus froid aux yeux, n'hésitant pas à faire don de leurs corps lors du cours de nu de l'Acte I. Baryton tranquillement stylé, Ilya Kutyukhin est un Guglielmo moins histrionique que ceux d'une certaine tradition. Après Benedict, Robert Lewis continue son avancée au premier plan avec Ferrando, dont il sait transformer en sommet d'émotion le registre aigu sur le fil d'Un' aura amorosa. On regrette que, comme c'est devenu l'usage, le spectacle le prive du magnifique Ah, lo veggio. Giulia Scopelliti est une Despina pleine d'énergie dont la voix reste belle même en médecin et en notaire. Lui aussi en pleine santé, Alfonso, dont le texte a été modifié pour les besoins de la dramaturgie, a été confié à Simone Del Savio. Est-ce également pour les besoins de la dramaturgie que Duncan Ward, dont la direction pleine d'allant et de grâce (même le cor est dompté) impulse idéalement l'Orchestre de l'Opéra, a adoubé l'abandon de Al fato dan legge (c'est coutumier) de E la fede della femine et La mano a date (c'est nouveau) ? On aurait juré que l'imaginative passion de la metteuse en scène n'aurait fait qu'une bouchée de ces trois morceaux.
À l'École des amants de Marie-Ève Signeyrole, la confusion des sentiments est donc totale, dont le finale, avec mise en abyme du regard qui se retourne vers 1100 nouveaux élèves (le public), semble même dire : à suivre…














Musicalement impeccable avec d’excellents chanteur et un orchestre très en forme.
La mise en scène est très novatrice et m’a beaucoup séduit dans le 1er acte.
Le 2e acte est quand même décevant : outre le sérieux problème du déguisement il y a, après la légèreté du début, de la lourdeur à montrer des couples lascifs en permanence sans que cela fasse avancer le récit. L’usage de la.video devient également un peu caricatural. Tout cela aurait merite plus de légèreté.
Au total un très beau spectacle, qui rate par certaines fausses hardiesses de la mise en scène la réussite totale.
Très beau spectacle, inédit. Un grand merci à tous pour ce momen
Cosi fan tutte absolument magnifique, merci !!!