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Trois concertos de György Ligeti avec Les Siècles

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« Ligeti / Concertos ». Ligeti (1923-2006) : Concerto pour violon et orchestre (1990), Concert Românesc pour petit orchestre (1951), Concerto pour piano et orchestre (1985-1988). György Kurtág (né en 1926) : Aus der Ferne III pour quatuor à cordes (1991), Aus der Ferne V pour quatuor à cordes (1999). Isabelle Faust, violon. Jean-Frédéric Neuburger, piano. Les Siècles ; François-Xavier Roth, direction. 1 CD Harmonia Mundi. Enregistré en septembre-octobre 2023 à la Maison de l’ONDIF, Alfortville. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 69:00

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Les Clefs ResMusica

La Hongrie est à l'honneur dans ce disque réunissant deux grands noms de la musique contemporaine : et . Le premier surtout est présent, avec trois concertos, dont une œuvre de jeunesse, le Concert Românesc, ainsi que deux concertos servis par les solistes et . Ils sont entourés par les Siècles et dirigés par . Du second compositeur ont été enregistrés deux pièces très brèves : Aus der Ferne III et V.

Le Concerto pour violon et orchestre (1990) de appartient à sa troisième et dernière période compositionnelle, marquée par un syncrétisme stylistique, après l'époque hongroise jusqu'en 1956 et celle des expériences avant-gardistes et de la micropolyphonie jusqu'aux années 1970. Cet éclectisme de la maturité reprend donc tout naturellement certains éléments des manières antérieures, comme l'abandon du traditionnel développement temporel au profit d'un statisme occupant l'espace, une sorte d'esthétique du collage faisant se succéder des climats contrastés, ou encore l'irrégularité de la pulsation. La différence apparaît dans la clarté et la généralisation avec laquelle sont exploités ces différents procédés d'écriture. Le premier mouvement nous embarque dans une polymétrie accentuée, complexe et qui prime tout, rassemblant les différents instruments, entendus tout d'abord séparément, dans le tutti d'une mécanique aussi implacable que folle. Puis, bercé au tout début du deuxième mouvement par la mélodie d'un alto solo lointain, l'auditeur est secoué par le hoquet de deux lignes mélodiques se heurtant rythmiquement, l'une au violon solo et l'autre par les autres instruments, lesquels forment parfois un étrange mélange de timbres, quand par exemple les ocarinas se marient aux flûtes, dont un piccolo et une à bec. Car, synthèse personnelle, l'œuvre est aussi une sorte de condensé historique non chronologique de la musique en cinq mouvements, ainsi que l'indiquent certains termes dans les titres : Praeludium et Passacaglia (respectivement premier et quatrième mouvements) évoquant la tradition baroque, Hoquetus (deuxième mouvement) le Moyen-âge, Intermezzo et Appassionato (respectivement troisième et cinquième mouvements) l'époque romantique. À signaler, dans cette orgie rythmique, l'importance de la mélodie au violon. excelle à rendre sur son Stradivarius de 1718, le « Székely » (la Hongrie encore !), toutes les nuances et la très grande expressivité de cette voix tour à tour violente, mélancolique, rêveuse, ou virtuose. Elle cosigne avec Oscar Stranoy la cadence, magnifique dans son étrangeté, du dernier mouvement.

La fin du cinquième mouvement s'enchaîne fluidement avec Aus der Ferne III pour quatuor à cordes (1991) de (né en 1926). Sur la répétition lente et régulière du même pizzicato grave du violoncelle, des sons harmoniques formant accords ou chétives cellules motiviques, tout un monde fragmentaire et assourdi : perçu « du lointain ». Sera entendue plus tard dans le disque Aus der Ferne V (1999), pièce pour la même formation, qui, dans une atmosphère crépusculaire dominée par les dissonances et la pesanteur, s'extrait du silence, portée ou enfoncée là encore par les pizzicati obsédants et fatidiques ou funestes du violoncelle, enfle puis y retourne aussi lentement qu'inexorablement.

Œuvre peu jouée et enregistrée pour la première fois seulement fin 2001 par le Berliner Philharmoniker dirigé par Jonathan Nott (TeldecClassics), le Concert Românesc pour petit orchestre (1951) fait effectivement entendre un autre Ligeti, de jeunesse, qui se rappelle sa découverte à trois ans dans les Carpates de l'alphorn et son passage quelque vingt ans plus tard à l'Institut du folklore de Bucarest. Quatre mouvements contrastés : le thème pastoral de l' « Andantino » nous transporte tout d'abord, sur un rythme très souple et la stabilité de son diatonisme, dans une sorte de scène d'exposition de film bucolique en « peignant » une campagne heureuse, avant que l'« Allegro vivace » ne nous entraîne plus précisément dans un village et la danse frénétique animée par des musiciens roumains. L'« Adagio ma non troppo » introduit une dimension de mystère, avec un solo de cor naturel auquel répond le cor anglais. Introduit par une sonnerie militaire, le « Prestissimo » fait se succéder aux danses endiablées menées par les violons, les piccolos et les percussions, les réminiscences des cors des Alpes qui se répondent en écho. Les Siècles restituent à merveille le pittoresque de cette écriture expressive basée sur les contrastes dynamiques.

La primauté du rythme est manifeste dès les premières mesures du Concerto pour piano et orchestre (1985-1988), également de la dernière période de Ligeti ; c'est même le moteur irrésistible qui charrie tout, dans une complexité où plusieurs structures élémentaires sont noyées dans un ensemble. Le deuxième mouvement, « Lento e deserto », d'un caractère tout différent, aussi parce qu'il est le seul des cinq à être lent, tire sa grande originalité par son harmonie fondée sur l'alternance de deux secondes mineures et une seconde majeure, des phrases qui s'étirent et laissent place au vide, et un mélange de timbres inédit qui convoque le piccolo, le sifflet à coulisse, l'ocarina alto, le xylophone… Le piano « reprend ses droits » dans un troisième mouvement au départ teinté de mystère. Sur une pulsation fondamentale empressée et continue (« Vivace cantabile »), il commence par vibrionner pianissimo sur quelques notes voisines. Sa rumeur va crescendo, reprenant de manière obsessionnelle des gammes descendantes, amplification renchérie par les intrusions de plus en plus envahissantes et anarchiques d'autres instruments. Çà et là, le jeu percussif du piano et l'intervention de la percussion rappellent Bartók. Cette mécanique déréglée suggère une accélération, jusqu'au decrescendo final. Le matériau est encore poussé à ses limites dans le quatrième mouvement, « Allegro risoluto, molto ritmico », où dialoguent le piano et les autres instruments dans de courts motifs se heurtant avec de plus en plus d'intensité et d'expressivité. L'exacerbation est à son comble dans le dernier mouvement, court et « Presto luminoso », où l'on voit à quel point la virtuosité, celle du piano mais aussi de l'ensemble, est à la fois forme d'expression et façon de pousser le matériau à ses limites. Une surface musicale aisément identifiable est toujours chahutée par de complexes constructions en canons. Tout cela grossit et se complexifie jusqu'à la fin brutale. et Les Siècles dirigés par ont l'insigne mérite de maintenir la lisibilité d'un tel brio. Ils montrent à quel point la musique de Ligeti reste originale et vivante.

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« Ligeti / Concertos ». Ligeti (1923-2006) : Concerto pour violon et orchestre (1990), Concert Românesc pour petit orchestre (1951), Concerto pour piano et orchestre (1985-1988). György Kurtág (né en 1926) : Aus der Ferne III pour quatuor à cordes (1991), Aus der Ferne V pour quatuor à cordes (1999). Isabelle Faust, violon. Jean-Frédéric Neuburger, piano. Les Siècles ; François-Xavier Roth, direction. 1 CD Harmonia Mundi. Enregistré en septembre-octobre 2023 à la Maison de l’ONDIF, Alfortville. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 69:00

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1 commentaire sur “Trois concertos de György Ligeti avec Les Siècles”

  • PL dit :

    2 mots sur François-Xavier Roth, cheville ouvrière du résultat, c’est un peu léger pour un tel disque !

    Ses agissements condamnables ne doivent pas faire oublier quel immense chef il est. Pour un CD enregistré (me semble-t-il) avant la révélation de ces actes, il aurait été bon d’en dire un peu plus sur sa direction…

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