Trois solos dorés au Palais de la Porte Dorée
Trois formes courtes au cœur du magnifique Palais Art déco de la Porte Dorée, un régal dans le cadre de Paris l'été, signé Rebecca Journo, Calixto Neto et Thibaut Eiferman.
Rebecca Journo, fardée comme une poupée de cire, se tient contre l'une des portes monumentales de bois exotique de la Salle des fêtes, lieu des galas et manifestations officielles pendant l'Exposition coloniale de 1931. Entre les panneaux de la fresque de Pierre Henri Étienne Ducos de la Haille, figurant les valeurs apportées par la France à ses colonies, L'Épouse (titre du solo) semble être la fragile héroïne romantique de « Julie ou la Nouvelle Héloïse » de Rousseau ou bien Emma de « Madame Bovary », toutes deux objets de mariages arrangés. Serrant fébrilement un petit bouquet d'œillets frais, les paupières agrandies de rose bonbon, elle est le fantôme inquiet d'une époque révolue, couronne de tresses plaquée à l'arrière de la tête et crinoline en guise de jupon.
La performance de Rebecca Journo est époustouflante. Comme en transe, ses yeux fixent le vide et ses mains se tordent, semblant implorer de l'aide. Parfois, alors qu'elle fend la foule des spectateurs debout, elles se cambre, se cabre et s'effondre brusquement vers l'arrière. Le corps tendu, elle reprend sa marche en avant, comme une Coppélia déréglée et possédée ou une Giselle devenue folle. Une pratique qui renoue avec la tradition hiératique et sensible du butoh, cette danse des ténèbres japonaise, où les danseurs s'affichaient le corps poudré de blanc.
Dans le deuxième solo, Outrar, c'est le sweat-shirt à capuche porté par le danseur brésilien Calixto Neto, qui fait écho aux fresques coloniales de ce joyaux de l'Art déco. Outrar est une invitation lancée par la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues, sous forme de lettre sonore à ses proches collaborateurs, pour apprendre à se faire « autre ». Deux de ses danseurs, devenus à leur tour chorégraphes, Volmir Cordeiro et Calixto Neto, ont répondu à son appel en créant chacun leur solo.
Visage masqué par un rideau de franges noires, en harmonie avec sa jupe plissée, Calixto Neto, au visage faussement tatoué, s'inspire du krump, mais au ralenti, pour ce solo hypnotique. Tout l'intérêt du solo, outre cette forte présence physique de l'interprète, est le décalage avec la musique proposée en contrepoint – un montage fait de musique brésilienne et de sons de l'Amazonie, mais aussi d'échos de voix lointains, comme si on traversait l'espace-temps à la vitesse de la lumière.
Le plateau s'élargit pour le troisième solo, HHH, créé et interprété par Thibaut Eiferman, qui propose un dialogue entre un danseur quasi nu et un mannequin tel qu'on en voit dans les vitrines. Les poses stéréotypés du mannequin servent de base à l'inspiration chorégraphique. Une idole démontable, silencieuse, et modifiable à l'infini dont les poses figées sont tout sauf naturelles. Entre ces deux corps blanc – forcément blancs – l'un souple, l'autre rigide, l'un mobile, l'autre fixe, le chorégraphe rejoue la palette du memento mori, jouant avec la tête du mannequin, comme Hamlet avec le crâne. Il crée de toute pièce un nouveau corps avec les éléments désarticulés du mannequin, en écho à la pratique surréaliste du collage. Un raccourci saisissant et efficace de l'histoire de l'évolution humaine, à l'heure où l'IA peut remplacer les cerveaux avant de, bientôt, robotiser les corps.









