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Bertrand Chamayou, Yunchan Lim et Minsoo Sohn à La Roque d’Anthéron

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La Roque d’Anthéron, Festival international de piano. 30-VII-2025. Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano et orchestre en sol majeur ; Concerto pour la main gauche et orchestre en ré majeur ; Boléro. Bertrand Chamayou, piano ; Orchestre Philharmonique de Nice, direction : Lionel Bringuier.
4-VIII-2025 . Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour deux pianos en fa majeur op. 34b. Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Danses Symphoniques op. 45. Richard Strauss (1864-1949) / H. Lee (né en 2006) : Suite du Chevalier à la Rose op. 59. Yunchan Lim et Minsoo Sohn, piano

De mi-juillet à mi-août, la mythique scène du parc du château de Florans accueille depuis 45 ans une multitude de pianistes invités par René Martin, parmi lesquels cette année avec Ravel, et dans un programme à deux pianos, dans une nouvelle ambiance conviviale.

Franchissant la grille et longeant le mur qui borde l'allée d'accès au parc en contrebas de la route, là où le parc planté de ses séculaires platanes et séquoias s'ouvre au visiteur, une nouveauté attend les festivaliers. Des tables et chaises de fer occupent nombreuses un vaste espace entouré de stands qui proposent boissons, en-cas et salades, glaces et souvenirs du festival. Il est encore un peu tôt mais dans quelques minutes aux alentours de 19h30 la « Placette » à l'esprit guinguette se remplira des mélomanes venus prendre un verre ou manger sur le pouce avant de gagner les gradins de l'amphithéâtre. Heureuse idée que d'avoir ouvert le parc, ce sanctuaire du piano, aux producteurs, restaurateurs et commerçants locaux, provoquant véritablement la rencontre du village et du festival, cela manquait et l'on apprécie cette convivialité nouvelle autour de la célébration du piano. 

Ravel, d'un concerto à l'autre

Deux concertos à l'affiche, ceux de , composés simultanément, pour une grande soirée symphonique en hommage au compositeur français né il y a 150 ans, qui s'achève par l'œuvre la plus jouée au monde, son Boléro brillamment interprété par l' dirigé par . Au piano, l'un de ses grands interprètes de notre époque : a enregistré l'intégrale de son œuvre pour piano seul il y a quelques années, et récemment un album intitulé Ravel fragments. Les secondes suivant le claquement de fouet initial du Concerto en sol éclaboussent déjà l'oreille des couleurs chatoyantes, irradiantes et vives de l'orchestre mêlées aux premières notes du piano, les deux dans une connivence qui les liera jusqu'à l'ultime coup de grosse caisse. Le jeu du pianiste, souple, raffiné, sachant être tour à tour d'une élégante nonchalance, d'un lyrisme ample et sensuel, mais aussi d'une redoutable précision rythmique et d'un mordant irrésistible dans les staccatos, captive et séduit. Dans le premier mouvement, la musique passe du soliste à l'orchestre, et vice versa, dans des fondus-enchaînés subtils. La façon dont le pianiste timbre et déploie la longue et bouleversante ligne mélodique du second mouvement, la soutenant d'un bout à l'autre au-dessus des teintes typées de l'orchestre, force l'admiration, jusqu'à ce moment suspendu lorsque ses doubles-croches égrainées avec une égalité confondante laissent le relais mélodique au cor anglais qui chante, magnifique de suavité, dans un legato sans la moindre aspérité. Chamayou pousse le raffinement et la poésie jusqu'à la toute dernière note, si délicatement posée à la fin du trille. Le final est éblouissant, d'une gaité folle, mené bon train par l'orchestre sur le vif crépitement du piano. 

Le Concerto pour la main gauche proposé après l'entracte nous subjugue tout autant. Prenant appui de sa main droite sur la ceinture du piano, Chamayou trouve un équilibre corporel permettant à sa main gauche robuste et agile de sculpter en profondeur le clavier, de le parcourir du grave à l'aigu sans qu'à l'écoute on décèle la moindre faiblesse, donnant l'illusion de deux mains, hiérarchisant les registres. Son pied gauche actionne la pédale forte avec autant de précision que son pied droit lorsque son jeu se déporte vers l'aigu. obtient de l'orchestre un son puissant, d'une saisissante densité dans les tutti, creusant les couleurs sombres et inquiétantes caractéristiques du climat de l'œuvre. Sa direction précise offre un arrière plan orchestral idoine au pianiste, jusqu'à l'arrivée de la redoutable cadence qu'il joue avec une aisance confondante, donnant une intensité expressive au chant timbré par le pouce. Chaudement applaudi, reste avec Ravel pour deux bis : la mélodie Trois beaux oiseaux de paradis dans sa propre transcription pour piano, et ses Jeux d'eau, somptueux ! L'Orchestre de Nice, très applaudi lui aussi, remporte sa part de succès avec le Boléro, que ses excellents solistes mènent à sa spectaculaire et tonitruante fin, et comme le public chauffé à blanc en redemande, joue un bis, tout aussi spectaculaire, La Grande Porte de Kiev de Moussorgski.

Deux pianos pour un élève et son maître

Autre grande soirée orchestrale à sa manière, quoique purement pianistique, sous forme de récital à deux pianos. À l'instar de Sergeï Babayan et Daniil Trifonov, pour ne citer qu'eux, nous voici en face d'un nouveau duo maître-disciple, cette fois d'origine coréenne. Il s'agit du très jeune , qui à seulement 18 ans a remporté le Premier Prix du Concours Van Cliburn en 2022 et de son professeur avec qui il continue d'étudier. Les claviers coude-à-coude, dans le prolongement l'un de l'autre, permettent aux interprètes une proximité physique et visuelle que la disposition tête-bêche traditionnelle met à distance, renforçant la complicité des musiciens, la fusion de leurs jeux comme la vivacité de leurs échanges. C'est le sentiment qui gagne l'auditeur au fil de leur programme sortant des sentiers battus. Il commence avec la Sonate pour deux pianos en fa mineur op. 34b de . Version intermédiaire, étape des tergiversations qui conduisirent le compositeur, sur le conseil de Clara Schumann, à opter finalement pour celle pour quintette avec piano, elle est rarement jouée. Le premier mouvement déroute, introduit le doute sur le bien-fondé de cette version pianistique : le son un peu trop clair, manquant de densité, le jeu plus retenu chez Sohn que chez Lim, un synchronisme par toujours exact au début du premier mouvement, donnent l'impression d'une mayonnaise qui ne prend pas. L'andante poco adagio distribuant ici les rôles aux deux pianos, registre aigu pour l'un en dialogue avec le registre grave de l'autre, quoique superbe de sonorité et d'expressivité, met en évidence les différences de personnalités des deux artistes, dans une forme de dualité. Mais ce n'est pas forcément un défaut. Le jeu du maître apparaît plus sobre, plus en retrait et moins expansif que celui de son élève, beaucoup plus engagé et nuancé. La suite (Scherzo et Finale) vient démentir la première impression : le son devient orchestral, les deux instruments fusionnent dans un jeu vigoureux, passionné, brûlant parfois. Les grands accords du finale plaqués simultanément aux deux pianos sonnent de toute leur richesse harmonique, et de toute leur largeur sur les trois mètres des claviers réunis. Ils précèdent une coda enflammée, dans laquelle les interprètent se jettent littéralement. 

La seconde partie, roborative, réunit deux œuvres qui font bon ménage : quelle riche idée de rassembler les Danses Symphoniques de (dans leur version pour deux pianos)  et la Suite du Chevalier à la rose de (arrangement de  H. Lee) ! Les deux pianistes se regardent, se jaugent en permanence, scrutent les mouvements de leurs gestes pour traduire l'expression poétique très particulière des pièces de Rachmaninov, leurs paysages intérieurs, le climat étrange presque sarcastique de la Valse centrale, accorder leurs touchers jamais durs, combiner leurs énergies dans l'allegro vivace final incandescent. La couleur sonore change du tout au tout avec le Chevalier à la Rose : le piano fois deux apporte une luxuriance dans ce domaine qui n'a rien à envier à l'orchestre, tant les pianistes sont attentifs à la caractérisation de la sonorité, surnaturelle dans les aigus, profonde dans les basses. Le jeu est raffiné dans le Prélude, savamment nuancé, séduisant et poétique. Plus rien ne retient le duo dans l'élan irrépressible de cette musique, son exultation, l'ivresse grisante de sa valse, sonnant grand, extravertie, qui donne envie de s'y abandonner à corps et à cœur perdus. Et puis on reste bouche bée devant tant d'aisance, de liberté rendue possible par une technique pianistique, chez l'un comme chez l'autre, d'une solidité à toute épreuve, faisant de la fin du récital un feu d'artifice ! On pourra entendre chacun des deux artistes dans leurs récitals respectifs au cours du festival. Et écouter ou ré-écouter ces concerts captés par France musique. (diffusion le 11 août pour celui du duo Sohn-Lim). 

 Crédit photographique © Valentine Chauvin

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La Roque d’Anthéron, Festival international de piano. 30-VII-2025. Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano et orchestre en sol majeur ; Concerto pour la main gauche et orchestre en ré majeur ; Boléro. Bertrand Chamayou, piano ; Orchestre Philharmonique de Nice, direction : Lionel Bringuier.
4-VIII-2025 . Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour deux pianos en fa majeur op. 34b. Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Danses Symphoniques op. 45. Richard Strauss (1864-1949) / H. Lee (né en 2006) : Suite du Chevalier à la Rose op. 59. Yunchan Lim et Minsoo Sohn, piano

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