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Le Requiem de Berlioz par Mathieu Herzog : À la Mort !

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La Côte Saint-André. 29-VIII-2025. Hector Berlioz (1803-1869) : Requiem opus 5. Avec : Kévin Amiel, ténor ; Spirito, Jeune Chœur symphonique de Lyon, Jeune chœur d’Auvergne, Maîtrise de petits chanteurs de la cathédrale de Lyon, Chanteurs amateurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes (chef de chœur: Thibault Louppe) et Orchestre Appassionato, direction : Mathieu Herzog

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Sommet – funèbre – du Festival Berlioz 2025 intitulé À la vie ! À la mort !, le Requiem de l'enfant de La Côte Saint-André fait son retour au pays dans l'interprétation puissante de .

Événement du festival 2025, la première mondiale d'une intégrale des Mélodies de Berlioz nécessitait (comme le Ring à Bayreuth !) une présence de six jours dans la ville natale de Berlioz. Autre sommet, le retour du Requiem à La Côte. L'opus qui aurait dû commémorer la Révolution de 1830, celui pour lequel Berlioz aurait demandé « grâce » en cas d'autodafé de tout son œuvre, couronne une 32e édition sous l'égide jusqu'au-boutiste d'une maxime (À la vie ! À la mort !) attachée à rappeler au XXIe siècle les engagements citoyens d'un compositeur déjà effaré en son temps (soit deux siècles avant l'avènement de l'IA) par « l'abnégation honteuse de notre intelligence », comme par l'interdiction de l'euthanasie. Bruno Messina rappelle ainsi combien la grande modernité du grand Hector (judicieusement rhabillé pour l'hiver sur l'affiche 2025 d'atours très contemporains) ne fut pas que musicale.

La vie, la mort : deux notions forcées plus que jamais à la cohabitation par une actualité délétère extra muros. Intra muros, c'est aux chefs berlioziens subitement disparus (chacun à sa façon) d'un festival qui avait si bien su les fidéliser, que l'on ne peut s'empêcher de penser à l'orée du concert, et notamment au plus berliozien d'entre eux, François-Xavier Roth, dont l'interprétation du Requiem en 2018 reste une des heures de gloire du festival. C'est à ce deuil a priori impossible qu'en reprenant la baguette ainsi laissée là, va devoir s'atteler corps et âme : faire d'un hymne à la mort un hymne à la vie. Ce qu'on pressent dès les premières mesures d'un Dies Irae pris avec allant. Dès le début on devine aussi que le chant ne sera pas un instant écrasé par l'orchestre : toutes les voix (hommes très affirmés, très articulés, femmes irradiantes) sont propulsées au plus haut d'un geste qui semble embrasser un univers préfigurant la symphonie mahlérienne des Mille. Les baskets blanches de s'affranchissent elles aussi littéralement de la pesanteur terrestre par des élans venant rappeler que la performance est aussi sportive.

Le Requiem est de ces œuvres auxquelles même la meilleure version discographique n'est en mesure de rendre son plein impact physique, avec ses orchestres de cuivres antiphoniques exilés aux quatre coins de la salle et ses seize timbales se faisant face de cour à jardin. L'effectif berliozien de la création (447 musiciens) appartient à une époque révolue : s ‘appuyant sur « le nombre relatif » de participants visé par Berlioz à même la partition, le Festival n'a pas fait les choses à moitié pour donner la mesure des déflagrations de pur effroi d'une œuvre qui, comme on le sait, comporte au moins autant de numéros intimistes, et même un a cappella (le si consolatoire Quaerens me, sonnant dans la cour du Château Louis XI comme les Vêpres de Rachmaninov). Après Les Siècles, c'est au tour de l'orchestre (dix ans d'âge déjà), dont la quarantaine d'instrumentistes a été considérablement étoffée, et de cinq chœurs (Spirito, Jeune Chœur symphonique de Lyon, Jeune choeur d'Auvergne, Maîtrise de petits chanteurs de la cathédrale de Lyon, Chanteurs amateurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes : soit une bonne centaine de chanteurs) de gravir l'Everest musical de Berlioz. Il faudra attendre les saluts pour faire connaissance de visu avec la totalité du pupitre des cuivres, le plateau, presque surpeuplé, n'étant autorisé qu'aux seuls cors et, plus loin, à deux tubas.

Pas de premier violon pour , fondé par Mathieu Herzog, orchestre « chambriste » (et également label) dont chaque membre est concerné par « l'écoute fine des uns et des autres ». L'ex-altiste du Quatuor Ebène peut ce soir s'appuyer sur le son de cordes aiguës stratosphériques (dès l'Introït), sur la précision indéfectible des attaques (le Lacrimosa et le tranchant de ses coups d'archets répétés). Ample et soucieuse du spectaculaire des moments-clés, sa direction, plus hédoniste qu'analytique, gomme au passage, au contraire de François-Xavier Roth, qui, avec sa phalange « historiquement informée », savait si bien les mettre en valeur, les soi-disant bizarreries de l'orchestration berliozienne dont l'inspiration mélodique inépuisable reste toujours tentée par la fréquentation des confins de l'harmonie, jusqu'à l'intrigant dialogue trombones/flûtes d'un dernier numéro définitivement revenu du gigantisme.

Autre performance (faussement) intime que le solo de ténor assuré par dans l'éther d'un Sanctus incarné avec une santé de moyens bien adaptée au cadre cinémascopique d'un concert déployé sur toute la largeur d'un plateau redessiné par la vidéo en Cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides, dont l'une des arcades à l'étage est malicieusement habitée d'un unique spectateur en surplomb : Berlioz soi-même, semblant veiller au grain, encore sous le coup peut-être de la création du Requiem en 1837, dont il affirme dans ses Mémoires, qu'il dut reprendre la baguette au chef (Habeneck), lequel s'était avisé de priser son tabac à un moment stratégique du Dies Irae ! Une inconséquence aussi difficile à croire que d'imaginer qu'elle ait pu ce soir effleurer l'esprit de Mathieu Herzog.

Crédit photographique: © Festival Berlioz-Bruno Moussier

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La Côte Saint-André. 29-VIII-2025. Hector Berlioz (1803-1869) : Requiem opus 5. Avec : Kévin Amiel, ténor ; Spirito, Jeune Chœur symphonique de Lyon, Jeune chœur d’Auvergne, Maîtrise de petits chanteurs de la cathédrale de Lyon, Chanteurs amateurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes (chef de chœur: Thibault Louppe) et Orchestre Appassionato, direction : Mathieu Herzog

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1 commentaire sur “Le Requiem de Berlioz par Mathieu Herzog : À la Mort !”

  • Denizeau dit :

    Magnifique article rendant admirablement compte du chef-d’œuvre et de son interprétation sur les terres natales du grand Hector !

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