Ircam : soirée du Cursus #1 à l’Espace de projection
Préparés avec leur professeur Pierre Jodlowski, les deux concerts du Cursus sont, pour la dizaine de jeunes compositeurs, l'aboutissement de leur année d'apprentissage des logiciels, développés par les chercheurs de l'Ircam et appliqués à la composition musicale. Pour cette première soirée, les quatre pièces données en création explorent les potentialités de l'électronique intégrées à l'univers instrumental ou au monde de l'audiovisuel.

Bienvenue dans l'immersion
Les voix brouillées de l'équipage s'entendent à travers les Talkie-Walkie ; on est déjà embarqué – à une profondeur de 472 mètres ! – lorsque l'on pénètre dans l'Espace de projection alias Nautilus : dans Argonautica d'Itziar Viloria et Severin Dornier, nous circulons avec l'équipage à l'intérieur du sous-marin ; bruits de mécaniques, souffle, vrombissements – ça pulse … comme un langage » – qu'accompagnent les images de la plasticienne basque Itziar Viloria projetées sur un tulle tendu en bord de plateau ; « l'opératrice » communique avec son partenaire et déambule au milieu du public invité lui-même à se déplacer. Des petits bacs d'eau posés sur des supports intriguent, dont les reflets scintillants semblent réagir aux vibrations sonores ; la performeuse y déverse un liquide de couleur modifiant sensiblement les effets de surface. Severin Dornier, camera live en main, apparaît de l'autre côté du tulle, détaillant les facettes de deux sculptures cinétiques-sonores dont les images apparaissent sur l'écran ; elles fascinent par la beauté autant que l'étrangeté de leurs morphologies. L'immersion est totale et la dramaturgie sonore et lumineuse bien conduite, qui contribue à la réussite de cette odyssée sous-marine à la pointe de la technologie.
La mixité des sources
Un entracte est nécessaire pour reconfigurer l'Espro avec son plateau et les rangs de chaises pour le public. Les trois autres pièces, instrumentales et frontales, invitent les solistes de l'ensemble Cairn.

Du compositeur turc Emre Eröz, Where the Vision Bleeds convoque la trompette avec sourdine d'André Feydy, la flûte basse de Cédric Jullion, la guitare électrique de Christelle Séry, l'électronique live et une bande multicanale : les sources sonores fusionnent en un objet sonore polymorphe que modèle l'électronique dans ses dimensions spatiales et ses textures colorées ; l'image sonore en constante transformation séduit, même si la projection spatiale manque, à notre goût, d'envergure. Du catalan Sergi Puig Serna, Bientôt ou jamais, pour violoncelle et électronique est une pièce intimiste qui épouse les aléas d'une pensée poétique, entre fluidité du temps et arrêt sur image. Superbement servie par Alexa Ciciretti, l'écriture du violoncelle y est ciselée et exigeante, dont l'électronique creuse les reliefs, souligne la dramaturgie et crée l'aura de résonance. Le Mexicain Luis Torres a fait ses classes à Graz auprès de Beat Furrer et de Frank Bedrossian. Xtasis est un nom valise, qui soude stase et extase. Le violoncelle est central, côtoyant la flûte et la trompette, trois sonorités qui convergent et se fondent : « intensité retenue, immobilité vibrante », écrit le compositeur dans sa note d'intention. L'électronique en magnifie les couleurs, en projette la trace dans l'espace, portant les distorsions du matériau jusqu'à l'incandescence.
Notons que le Cursus de composition et d'informatique musicale devient biennal : il n'y aura pas de cession en 2025-2026 ; la prochaine formation se déroulera en 2026-2027, avec, comme nouveau professeur associé, la compositrice autrichienne Eva Reiter.
Crédit photographique : © Ircam / Deborah Lopatin









