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Le New York bientôt vintage de Steve Reich avec l’Intercontemporain

Pour la rentrée de l', met New York et la vie citadine à l'honneur avec trois évocations par , et . L'occasion de mesurer ce qui relie (ou pas) littéralité et intemporalité. 

Le programme donnant le coup d'envoi de la saison de l'Intercontemporain avait pour les assidus de cet ensemble un air de déjà vu, car il y a dix-neuf saisons (en 2006) nous avions rendu compte d'un programme similaire dans la même salle, qui s'ouvrait par les Légendes urbaines de et se refermait par le City Life de . Deux changements : a succédé à Elliot Carter pour la pièce centrale, et est sur le podium an lieu de Jonathan Nott.

Légendes urbaines (2006) et City Life (1995) ont toutes les deux été commandées par l', et ont spécifiquement pour thème la ville de New York, avec une fonction illustrative qui est manifeste… ce qui n'était pas simple à vivre pour un compositeur spectral comme , comme il l'a écrit lui-même dans une note d'accompagnement de l'œuvre. Ni l'une ni l'autre ne donne naturellement dans la carte postale, et c'est un portrait de l'énergie de la ville qui est proposé, que la musique est parfaitement à même de restituer. À Murail les ambiances mystérieuses, les gouttelettes sonores devenant virevoltantes et tourmentées en maëlstrom (Promenade I), les accents de jazz se mêlant aux chants d'oiseaux et aux mécanique d'une machine à vapeur (Staten Island Ferry), le vent hivernal coupés d'éclats lumineux (Whirlwinds), le monumental et le brillant des cuivres au souffle quasi-brucknérien (George Washington Bridge), la pulsation sourde de la ville (Hyperlinks). Dans City Life, applique littéralement le principe énoncé par Berlioz dans son Traité d'instrumentation selon lequel « tout corps sonore mis en œuvre par le compositeur est un instrument de musique » : il a capté à New York les voix d'un camelot (« Check it out ! »), de manifestants (« Can't take no mo' »), des klaxons, sirènes, alarmes et marteaux piqueurs, et ces sons ne sont pas diffusés de manière rigide sur le principe de la bande magnétique, mais joués par un synthétiseur comme les notes d'un instrument de musique. Sont ainsi évoqués les bruits de la rue, la lutte pour les droits civiques ou encore l'attentat au World Trade Center de 1993. Si City Life est d'une séduction sensiblement plus immédiate, par sa consonance, son rythme, ses répétitions obsédantes qui sont la signature du compositeur, ainsi que par ses sons électroniques datés des années 1990 qui ont déjà un début de charme vintage, les Légendes urbaines, bien que non exemptes de certaines longueurs, emmènent l'auditeur plus loin, et nourriront son imaginaire plus longtemps.

C'est dans les Graffiti d', à l'instrumentarium le plus développé, que l' et son chef font la meilleure démonstration de leurs moyens. Saluons au passage le régisseur plateau pour la chorégraphie qu'il nous a offerte où neuf techniciens ont œuvré pendant près de dix minutes pour redéployer à vue instruments et pupitres, et sans confusion ni erreur. Le genre de performance que le public, calme et concentré, aurait salué chaleureusement si les techniciens étaient venus saluer à l'issue. Graffiti est la pièce à la fois la plus récente (2012-2013) et la plus classique des trois données ce soir, que ce soit par les sonorités où l'on retrouve les couleurs instrumentales de l'orchestre du XXe siècle, la recherche de performance avec une virtuosité obsessionnelle qui met à l'épreuve tous les musiciens, la structure équilibrée en trois parties, rapide-lent-rapide, et l'association de mondes sonores hétérogènes (sons chuintés et bruités, pizzicatos électriques, sonorités plus aquatiques). C'est peut-être pour toutes ces raisons que l'œuvre paraît la mieux construite, la plus efficace. Elle avait été donné peu après sa création par l'Intercontemporain en 2015, dans un programme entièrement coréen, et elle est judicieusement placée dans ce programme. C'est dans le dernier mouvement, qui s'ouvre par une série de huit accords séparés par le vide, que se manifeste le plus visiblement la tenue dynamique de la direction de Pierre Bleuse. S'il ne dirigeait pas si bien le silence entre les accords, ce passage délicat aurait été simplement heurté et décousu. Et si c'était dans la capacité à diriger le silence qu'on reconnaissait la marque des chefs vraiment musiciens ?

Crédits photographiques : © Quentin Chevrier / Ensemble intercontemporain

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1 commentaire sur “Le New York bientôt vintage de Steve Reich avec l’Intercontemporain”

  • PL dit :

    J’adore Unsuk Chin, mais franchement, City Life est un des plus grands chefs-d’œuvre de la seconde moitié du siècle, trouver les sons enregistrés « vintage » (ce que je ne trouve pas pour ma part) n’en altère pas son écriture prodigieuse. C’est comme si on trouvait les intermèdes électroniques de Déserts de Varèse « démodés » et que l’on en concluait que cette partition n’est pas si marquante… Une œuvre, c’est une écriture avant tout. Et celle de Reich est absolument grandiose dans cette partition (il s’agit d’ailleurs d’une triple commande : Ensemble Modern, London Sinfonietta et Ensemble intercontemporain, l’œuvre fut d’ailleurs créée, à Metz, par l’Ensemble Modern).

    Et oui, Pierre Bleuse est un chef fantastique et booste l’EIC comme jamais. Son Répons de Boulez en fin de saison dernière fut absolument fabuleux et passionnant.

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