Don Giovanni de retour à Séville ou la victoire des femmes
Dans le cadre du festival d'Opéra de Séville, Don Giovanni fait son retour, après une dizaine d'années d'absence, sur la scène du Théâtre de la Maestranza dans la mise en scène de Cecilia Ligorio servie par un ensemble de jeunes chanteurs, comme autant de prises de rôle, sous la direction musicale de Mariano Garcia Valladares.

Considéré par Kierkegaard comme « l'opéra des opéras », Don Giovanni de Mozart, inspiré du Burlador de Sévilla de Tirso de Molina, est un opéra oscillant entre drame et comédie, désir et damnation, qui offre de nombreuses possibilités d'interprétation à tous les metteurs en scène qui s'y sont essayé. Cecilia Logorio appartient à cette nombreuse cohorte, apportant un regard, peut-être plus féminin et plus psychologique que social ou politique sur le mythe du séducteur sévillan, affirmant grand et fort la victoire des femmes dans une mise en scène très efficace et lisible, déjà donnée en début d'année à Cologne.
Pendant l'Ouverture, joliment menée par Mariano Garcia Valladares, se déroule sous nos yeux une chorégraphie sensuelle qui cerne un personnage affublé d'une volumineuse tête de taureau (Séville oblige…), donnant immédiatement le ton d'une lecture au premier degré, intemporelle, sans autre prétention que de servir au mieux le livret et le théâtre dans un pertinent mélange de sensualité, de drame et surtout de comédie, restant en cela parfaitement fidèle au dramma giocoso. La scénographie repose pour l'essentiel sur une tournette élégante et fonctionnelle qui permet de représenter simultanément plusieurs lieux, caractérisés chacun par de beaux décors, exaltés par des éclairages idoines. Les costumes colorés reflètent l'état psychologique des personnages : or pour Don Giovanni, rouge pour Donna Elvira, bleu pour Donna Anna et Don Ottavio, blanc pour Zerlina et Masetto. La direction d'acteur est percutante, bien réglée, faisant volontiers appel à l'humour, servie par des chanteurs-acteurs très investis dans leur rôle. Les chorégraphies, comme autant de métaphores du désir, occupent ici une place primordiale sous la houlette de Daisy Ramsom Philips.

La distribution vocale de ce casting B est largement dominée par les femmes, qu'il s'agisse de l'ambiguë Donna Anna de Bryndis Gudjonsdottir d'une confondante virtuosité vocale malgré quelques attaques un peu forcées dans l'extrême aigu ; de la vindicative et tourmentée Donna Elvira de Karen Gardeazabal dont on admire l'insolente projection ainsi que le registre homogène et étendu ; de la fraiche et touchante Zerlina (Montserrat Sero) au timbre angélique et charmant. Face à cette gente féminine irréprochable, les hommes font bien pâle figure, à commencer par le Don Giovanni de Jan Amtem, qui peine vocalement à franchir la rampe. Campant un séducteur sans envergure ni charisme, il ne devient audible qu'accompagné de la seule mandoline dans « Deh, vieni alla finestra ». Le Leporello de Daniel Noyola convainc davantage par son chant plus assuré qui nous gratifie d'un beau « Madamina, il catalogo è questo». Le Don Ottavio de Pablo Martinez ne passe guère la rampe non plus, tandis que le Masetto de Yoshihiko Miyashita est insignifiant, tant vocalement que scéniquement. La basse profonde de Luis Lopez donne au Commandeur toute l'autorité et la menace requise dans la scène finale traitée avec une sobriété de bon aloi.
Dans la fosse, le Real Orquesta Sinfonica de Sevilla et ses pupitres de vent célèbrent dignement le retour de Don Giovanni sur la scène sévillane, sous la baguette experte et nuancée de Mariano Garcia Valladares, toujours en parfait équilibre avec le plateau. Le Chœur du Teatro de la Maestranza complète avec bonheur cette production.









