Hommage à Maurizio Pollini à la Philharmonie, par Martha Argerich et Nelson Goerner
Les pianistes argentins Martha Argerich et Nelson Goerner ont rendu à la Philharmonie de Paris un extraordinaire hommage au pianiste de légende Maurizio Pollini, décédé en mars 2024.

Il ne fallait pas moins que la Grande Fugue pour deux pianos de Beethoven, tirée de son Quatuor à cordes n°13, pour ouvrir ce programme avec le compositeur de prédilection de Pollini. Argerich et Goerner en donnent une version pleine de lumière, dans un jeu très pur, d'une grande fluidité, qui fait crépiter ce fascinant contrepoint. Avec la Sonate en ut majeur KV 521 de Mozart, les deux pianistes s'installent à quatre mains pour livrer une ravissante interprétation de ces pages, qui évoquent immanquablement une intimité quasi-familiale. Et, en effet, le jeu à quatre mains n'est-il pas né de la complicité entre Wolfgang et Nannerl ? La complicité manifeste des deux interprètes (Argerich tenant la partie grave et la pédale, Goerner la partie aigüe) nous vaut un phrasé divinement fondu, qui fait la grâce de ce répertoire.
On admire encore le duo de prestige qui se fait face dans le Concertino pour deux pianos de Chostakovitch, avant d'attaquer la dernière partie du programme, placée sous le signe d'un autre génial « Maurice ». Les cinq pièces pour quatre mains qui composent Ma mère l'Oye de Ravel sont abordées avec délicatesse, entre caractère enfantin, jeux de rôle et subtiles touches de lyrisme, Argerich tenant pour ce cycle la partie haute du clavier. Avec La Valse, Argerich et Goerner accèdent au sublime. D'une richesse d'écriture digne d'un concerto, la partition de Ravel trouve ici ses maîtres. Difficile, en effet, d'imaginer une version où le cœur des interprètes battrait plus à l'unisson. Parcourue de réminiscences, cousue d'entrelacs et d'arabesques, scandée des accents d'une valse viennoise, l'œuvre circule sans cesse entre les deux pianos : on aperçoit, littéralement, « La Valse » émerger peu à peu d'une société engloutie, prendre corps, puis planer au-dessus de la scène tant le phénomène de reconstitution est réussi.
Viennent encore en bis le début de la Petite Suite pour piano à quatre mains de Debussy (En bateau) et le premier mouvement de la Sonate en ré majeur KV 381 de Mozart, fastueux. Célébrée par de tels interprètes, la figure de Pollini est bien entourée. Le sens musical et la technique superlative de Nelson Goerner font merveille. Quant à Martha Argerich, contemporaine de Pollini, lauréate du Concours Chopin cinq ans après lui, son jeu reste d'une éclatante vitalité, en particulier son toucher léger et plein d'autorité, qui est l'une des plus belles choses à voir sur un clavier.
En convoquant Beethoven, Mozart, Chostakovitch et Ravel pour cet hommage, tout se passe comme si les deux pianistes avaient souhaité éclairer tour à tour les différentes facettes du grand Maurizio, à savoir respectivement : l'intellectuel épris de métaphysique ; l'homme suprêmement affable et élégant ; l'artiste engagé soucieux de s'adresser au peuple ; le puits de culture, enfin, qui faisait dialoguer entre elles les époques. Même disparu, le voici qui continue, grâce à l'intercession de ses illustres collègues, à nous procurer les plus grandes joies musicales.
Crédits photographiques : Martha Argerich © Adriano Heitman ; Maurizio Pollini © Mathias Bothor for DGG ; Nelson Goerner © Marco Borggreve
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