Yuja Wang et Esa-Pekka Salonen embrasent la Philharmonie de Paris
Le prochain chef principal de l'Orchestre de Paris et la plus éblouissante pianiste de sa génération exaltent le paroxystique Concerto n°2 de Prokofiev, suivi des débordements wagnériens et scriabiniens.
Mais auparavant, en ouverture de soirée, Bach au violon seul, tout simplement ! C'est Iris Scialom (nommée révélation instrumentale aux Victoires de la musique) qui, perchée au plus haut des balcons dans un halo de lumière, file le Prélude de la Partita n°3 BWV 1066 qui a inspiré Fog, pièce d'Esa-Pekka Salonen jouée dans la foulée par l'Orchestre de Paris sous sa direction. L'écriture loin d'être avant-gardiste n'en est pas moins riche et séduisante. Son tissu sonore fait de multiples superpositions, y compris rythmiques, souvent fondues entre elles telle parfois une « brume » sonore, d'une épaisseur sans opacité, laisse échapper des bribes mélodiques empruntées à la Partita, jouées ici par le violon solo, là par la flûte, ou le hautbois… Le piano présent aussi a sa courte partie soliste laissant penser à une improvisation. Tel un kaléidoscope, s'y organise un jeu de timbres, tandis que le rythme s'anime un temps sur une sorte de « walking bass » aux contrebasses. La pièce, qui a tout instant retient l'écoute, se termine par un grand tutti sur les scansions des timbales.
Réaménagement du plateau, le piano prenant sa place devant l'estrade du chef. On ne sait ce qui se débat en dernière minute en coulisses, mais les deux personnalités de la soirée tardent à arriver sur scène. Enfin les voici et l'on n'aura plus aucun doute sur leur connivence dès l'attaque du Concerto n°2 en sol mineur op.16 de Sergueï Prokofiev, dont Yuja Wang s'empare avec une énergie galvanisante et un engagement stupéfiant. Son jeu intensément expressif, magnifiquement timbré, se donne une profondeur de champ avec des basses dont elle contrôle à la perfection la sonorité, quand elles ne sonnent pas de toute leur violence et leur puissance, comme dans la longue et fracassante cadence qui lui fait prendre plus d'un risque. Mais la solidité du jeu est à toute épreuve, lui permettant de repousser plus loin encore les limites du paroxysme, comme aussi de faire entendre des voix médianes au cœur du déferlement sonore. Succédant à la poésie mélancolique de l'Andantino, le Scherzo volubile et endiablé, joué d'un seul trait, ne touche pas terre. À l'orchestre, les sonorités grasses et sombres qui ouvrent l'Intermezzo ramènent à la pesanteur, mais celle dérisoire d'une marche dans laquelle le piano jette ses éclats sonores. La pianiste soulève à nouveau une tempête, voltigeant dans le Finale, donnant à l'accentuation tout le mordant attendu, chauffant la salle à blanc, qu'elle gratifie de trois bis (Marguerite au Rouet de Schubert/liszt, la mélodie d'Orphée et Euridice de Glück, et la Romance sans paroles op.67 n°2 de Mendelssohn).
La seconde partie rassemble toutes les forces vives de l'Orchestre, mais aussi des musiciens complémentaires, comme l'organiste Christophe Henry. Émerge du silence l'accord de Tristan, sous la battue d'Esa-Pekka Salonen. Nous voici happés par l'irrésistible vertige qu'il donne à l'ouvrage wagnérien, ici condensé dans son diptyque instrumental formé du Prélude et de la Mort d'Isolde. Quel souffle ! Le chef porte et déroule son flux sonore qui procède par vagues et élans passionnels au gré des fluctuations de tempi, dans des dynamiques renversantes de beauté, le geste souple et précis. L'exaltation, la tension jusqu'au sommet extatique final laissent la gorge nouée. Mais surprise quand arrive l'accord qui se devrait d'être conclusif ! Le ré dièse entendu au cor se prolonge introduisant le Poème de l'extase d'Alexandre Scriabine, sans aucune interruption, comme si elles ne formaient qu'une grande œuvre fleuve, le si de la flûte emboitant le pas à celui de la clarinette en la wagnérienne. Le court chromatisme entendu au cor après les trilles de l‘Andante languido, qui n'est autre que celui joué au hautbois à partir de l'accord de Tristan, donnerait presque l'illusion que nous sommes toujours chez Wagner ! Avec une élégance suprême, Salonen modèle les sensuels contours de l'œuvre puissamment mystique, en déploie et en enlace les lignes, les courbes, jouant de la moire troublante des timbres mêlés, faisant flamboyer les trompettes, emportant les cordes dans d'inébriantes envolées dynamiques, laissant couver le feu jusqu'à porter à l'incandescence extrême les harmonies de l'accord final, dans un orgasmique embrasement sonore nourri par le grand orgue de la salle.
On sort presque titubant des résonances de ce fastueux concert, songeant déjà à l'année 2027 et ses promesses musicales. En attendant, et même très prochainement, toujours à la Philharmonie de Paris, on pourra retrouver Esa-Pekka Salonen qui dirigera Bruckner et Ligeti, et aussi Yuja Wang mais en « réalité virtuelle ».
Crédit photographique © Mathias Benguigui/Philharmonie de Paris
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Merci de citer le remarquable Christophe Henry , musicien complet , tant apprécié par les Orchestres parisiens , tant au Piano qu ‘ à l Orgue … de la Philharmonie ou de Radio France .
C’est vraiment la plus grande, la meilleure, une pianiste hors norme et … l a beauté et l’élégance en sus!