Les beautés d’Harold en Italie par Antoine Tamestit et l’Orchestre national de Lyon
Deux raretés de Grażyna Bacewicz et Alexandre Tansman en hors-d'œuvre de luxe de la merveilleuse symphonie avec solo d'alto de Berlioz. Un programme remarquablement imaginé par Nikolaj Szeps-Znaider pour le retour de l'Harold en Italie bien familier d'Antoine Tamestit.
Unanimes! Avec les compositrices permet à l'Auditorium de Lyon de souscrire à la démarche de l'AFO (Association Française des Orchestres) : la promotion des répertoires féminins. Avec la compositrice polonaise Gražina Bacewiecz, la soirée démarre fort, dans l'urgence de son Ouverture pour orchestre, composée au plus noir de 1943 dans l'espoir de jours meilleurs : six minutes nerveuses, pleines de suspense, tendues vers une fin puissante, qui ne sont pas sans évoquer la patte de Chostakovitch.
L'effectif orchestral, déjà conséquent, enfle encore pour la remarquable Symphonie n° 2 de son compatriote Alexandre Tansman, œuvre de 1926, elle aussi très tonale, dédiée à Serge Koussevitzky qui la conduisit au triomphe en Amérique. Sept percussionnistes, huit contrebasses, six cors, un piano, un célesta…. L'Allegro giusto initial sonne déjà comme un finale. Déjà très bien mis en valeur dans l'Ouverture par Nikolaj Szeps-Znaider, l'Orchestre national de Lyon tourne à plein régime, affichant un son d'une grande plénitude, même dans la résonance qui s'ensuit. Tout aussi brillamment orchestré, le Lento doit son statut de sommet de l'œuvre à sa beauté mélodique apposée sur un prenant ostinato pianistique. Nikolaj Szeps-Znaider en entretient savamment le mystère, notamment après son climax, au moment attendu du retour à la case départ, avant de se laisser entraîner (au sens propre) dans la danse d'un très physique Scherzo aux pétillantes facettes, et de s'adonner à un Allegro moto final mené à terme de plus en plus implacablement. Trente minutes spectaculaires d'une œuvre aux accents parfois honeggeriens (Tansman vécut à Paris où il rencontra l'auteur du Roi David) que l'on a aussitôt envie de réentendre, et un compositeur que l'on souhaite voir revenir renouveler le répertoire des grands orchestres.
Harold en Italie… ou les infortunes de l'ego. On plaint sincèrement Niccolò Paganini de n'avoir pas adoubé la commande qu'il avait passée à Berlioz après avoir été ébloui par la Fantastique. Tout ça pour une désolante histoire de déficit de mise en avant ! Le virtuose n'avait pas compris que l'on peut briller autrement que par l'omniprésence. Cela fait des années qu'Antoine Tamestit éblouit avec ce chef-d'œuvre d'une inusable séduction. En 2021, au Festival Berlioz, c'est avec John Eliot Gardiner, que l'altiste français avait donné de cette deuxième symphonie du grand compositeur français une version mise en espace particulièrement adaptée à ces « épisodes de la vie d'un marcheur ». Un esprit voyageur qui fait à nouveau le bonheur à Lyon de ceux qui n'avaient pas eu la chance d'être à La Côte Saint-André.
Le principe en est simple : l'orchestre commence seul, le temps d'une ensorcelante introduction, avant que ne s'avance à pas comptés à jardin l'artiste, son instrument comme un prolongement de son bras… S'ensuit un premier dialogue avec la harpe, judicieusement mise en vedette au premier plan. Une attention à l'autre, une élégance technique confondante, un registre piano en apesanteur. Le Voyage en Italie commence sous les meilleurs auspices. Comme son modèle byro-berliozien, Tamestit fait de l'ONL son Italie à lui, s'y promenant à loisir pour faire connaissance avec ses instrumentistes, pour s'émerveiller des saillies s'élevant du puits mélodique berliozien, ou réagir à ses sautes d'humeur. L'homme disparaît, réapparaît. Même quand il ne joue pas (de son instrument), il joue (de son corps). Antoine Tamestit possède son Harold en Italie. Et vice-versa.

Cette déambulation d'un grand naturel doit aussi à la complicité joueuse de Nikolaj Szeps-Znaider, à la direction musicale de L'Orchestre national de Lyon : superbe étagement des plans de la rampante introduction d'Harold aux montagnes, prenante retenue d'une Marche de pèlerins, qui permet d'en détailler toutes les beautés, comme les « cloches » de la harpe ou encore la prégnante douceur des arpèges solistiques… Sérénade bondissante et mélancolique à souhait soutenue par l'alto-guitare d'Antoine/Harold… Allegro vraiment frenetico qui voit son soliste épouvanté fuir à toutes jambes après de vaines tentatives beethovéniennes de rassemblement des thèmes de chaque mouvement, comme s'il n'avait jusque là qu'été le passager clandestin de la phalange. Après être parvenu en un dernier baroud à débaucher quelques instrumentistes pour une reprise en quatuor de l'ineffable Marche de pèlerins, il est finalement intégré dans l'orchestre. Au final, une belle métaphore du destin berliozien.
À suivre la ténébreuse silhouette elfique d'Antoine Tamestit, qui est parvenu à fondre ensemble celles de Child Harold et celle de Berlioz, on aura également songé à celle de ce dernier, que Moshe Leiser et Patrice Caurier avaient inclus en chair et en os dans les Troyens qu'ils avaient brillamment montés en 1987, précisément au même endroit, sur le plateau de cet Auditorium décidément riche de grands souvenirs berlioziens.










