El Potosi submarino refait surface au Théâtre de la Zarzuela
Confiné dans un abyssal sommeil de plus de 130 ans (la dernière représentation date de 1895 !), El Potosi submarino du maestro Emilio Arrieta refait surface sur la scène du Teatro de la Zarzuela de Madrid dans une mise en scène « actualisée » de Rafael R.Villalobos, sous la direction musicale d'Ivan Lopez Reynoso.

Après Pepita Jimenez qui n'avait pas connu les honneurs de la scène à Madrid depuis une trentaine d'années, c'est aujourd'hui une surprise de taille que nous propose le Teatro de la Zarzuela avec cette nouvelle production de El Potosi submarino (Le sous-marin Potosi), zarzuela comico-fantastique à grand spectacle, en vers, composée par Emilio Arrieta sur un livret de Rafael Garcia Sentisteban. Il s'agit d'une œuvre originale, quasiment oubliée, à laquelle le Teatro de la Zarzuela a décidé de redonner vie dans le cadre du projet de restauration du patrimoine zarzuélistique, comme une invitation à découvrir des trésors cachés…

C'est probablement lors de ses visites assidues devant le grand aquarium de l'Exposition universelle de Paris, en 1867, en voyant nager devant ses yeux des centaines d'espèces différentes, que Jules Verne décida d'entreprendre l'écriture de Vingt mille lieues sous les mers. Un roman qui semble avoir exploité la soif d'exotisme du public français de l'époque, commune à une grande partie de l'Europe, et notamment l'Espagne, qui appréciait également les récits et les aventures fantastiques. L'œuvre de Jules Verne fut publiée un an avant la première d'El Potosí submarino en décembre 1870, et la rapidité de sa publication témoigne du vif intérêt suscité par ce thème fantastique, revisité avec des artifices technologiques suscitant l'émerveillement. Emilio Arrieta profita de ce courant d'inspiration pour redonner au genre de la zarzuela une vitalité qui semblait quelque peu s'atténuer en ces années 1870 (sexennium démocratique) marquées par l'instabilité politique consécutive au renversement d'Isabelle II et la disparition de certains des fondateurs du genre, comme Joaquín Gaztambide, décédé neuf mois avant la première de Potosí.

Cette zarzuela en vers, à la prosodie charmante, s'affirme comme une satire politique très actuelle qui dénonce la corruption et le trafic d'influence en banalisant l'égoïsme et l'appât du gain : le docteur Misisipi, un escroc professionnel décide de fonder une fausse société de crédit qui lui permettra de s'enrichir en convainquant ses actionnaires potentiels qu'il a découvert les coordonnées d'un ancien galion naufragé, chargé de trésors… Obsédé par l'idée de s'enrichir, il pénètre dans un monde qui facilite ses projets lucratifs. Il y rencontre des personnages hauts en couleur, comme sortis d'un rêve. Tout au long de l'intrigue, comédie, fantaisie, parodies, aventure et émotion s'entremêlent dans un savoureux mélange qui n'est pas sans rappeler Offenbach.
En s'assignant comme but de faire renaître cette zarzuela oubliée, Rafael R.Villalobos a entrepris un projet audacieux et risqué qui a nécessité une restauration de la partition se devant de respecter l'essentiel du livret original, malgré une transposition de l'action dans les années 1992-1993, époque du grand boom économique espagnol et de ses conséquences (Jeux Olympiques de Barcelone, Exposition universelle de Séville et Madrid Capitale européenne de la culture …) ; une transposition temporelle discutable, sensée donner plus de poids et d'actualité à la satire politique et sociale, mais qui oublie totalement la composante fantastique du livret. Hélas, en voulant peut être trop dire, notamment sur les scandales du monde politique espagnol, cette lecture de Villalobos ajoute encore de la confusion à un livret déjà totalement foutraque ! Force est de reconnaitre que le résultat n'est pas des plus concluants, qui se réduit in fine à trois tableaux (Actes I, II, III) dont on peine à suivre la continuité narrative, tout particulièrement au II où les profondeurs fantastiques maritimes tant attendues sont remplacées par un douteux spectacle de cabaret sans queue ni tête. Dommage… La scénographie de Emanuele Sinisi, sans grandes particularités, se décline en trois tableaux avec costumes et lumières idoines et la vidéo de Maria Canas faite de documents d'archives installe le contexte historique lors de l'Ouverture.

Toutefois, ce qui séduit surtout dans cette mise en scène est la direction d'acteurs parfaitement huilée, autant que l'implication sans réserve des acteurs-chanteurs (d'ailleurs plus acteurs que chanteurs…)
La distribution vocale est homogène mais sans éclat, d'où de démarquent cependant la fraîche Celia de Nuria Garcia Arres, le bien chantant Escamon de José Luis Sola, la pétulante Perlina d'Irene Palazon dont on regrettera le timbre quelque peu acide, le Cardona de Enrique Ferrer au chant entaché d'un gênant vibrato, l'inénarrable Docteur Misisippi de Enric Martinez-Castignani, la ravissante Laura Braso en danseuse de revue et le brasseur Pale-Ale de Rafa Castejon, dans un rôle uniquement parlé. Sans oublier le superbe chœur du Teatro de la Zarzuela, indispensable acteur de la farce.
Dans la fosse, Ivan Lopez Reynoso mène l'Orchestre de la Communauté de Madrid avec une alégria bien contenue, dans un parfait équilibre avec les chanteurs.
Une production certes discutable par de nombreux aspects mais qui constitue cependant un beau témoignage, hélas plus anecdotique qu'opératique ou zarzuélistique, confirmant le fait que la postérité semble, finalement, un bon juge, et que les œuvres oubliées sont rarement de véritables chefs d'œuvre.
Crédits photographiques : © Elena del Real/Teatro de la Zarzuela









