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Destination Bohême à La Chaux-de-Fonds : un beau voyage, à deux stations près

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La Chaux-de-Fonds. Salle de Musique. 26-XI-2025. Antonín Dvořak (1841-1904) : Concerto pour violoncelle. Bedřich Smetana (1824-1884) : Má Vlast (Ma patrie), six poèmes symphoniques. Gautier Capuçon, violoncelle. Ensemble Symphonique Neuchâtel, direction : Victorien Vanoosten

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Le Concerto pour violoncelle de Dvořak et Má Vlast de Smetana dans la même soirée, à l'affiche : le programme était alléchant. Mais tout ne s'est pas passé comme prévu… 

Aussi difficile de ne pas s'enthousiasmer pour la flamboyante interprétation du concerto par que de ne pas s'irriter devant l'amputation in extremis de Má Vlast  (Ma patrie) initialement programmé dans son intégralité par la Société de Musique chaudefonnière. Ceux qui seront allés jusqu'à traverser la frontière pour assister à l'événement que pouvait représenter la perspective d'une intégrale du magnifique cycle de six poèmes symphoniques de , quasiment jamais donné in extenso et trop systématiquement réduit à sa seule Moldau, en auront été pour leurs frais. C'est peu ou prou dans un état de résignation, après l'annonce juste avant le concert, par le chef, de l'abandon des poèmes 4 et 5 ( allant jusqu'à incriminer la longueur d'une œuvre d'une durée de 1h30 alors que la plupart des versions avoisinent les 1h15), que les déçus se seront vus contraints d'aborder la première partie de la soirée.

Deux compositeurs tchèques. Mais aussi deux amis… Avant même que ne fasse vibrer son archet sur le concerto de Dvořak, l'on a fait connaissance avec la phalange neuchâteloise, fondée en 2008, et se produisant une demi-douzaine de fois par an. D'un élan galvanisant sous la baguette fougueuse de , l'ESN en impose : fluidité des cordes, élégance de la petite harmonie, homogénéité des cuivres avec, denrée rare, un quatuor de cors justes et nuancés. Le violoncelliste français, dont le seul nom a absorbé la dernière place libre dans le célèbre Salle de Musique, n'a plus qu'à poser l'impressionnante autorité de son instrument sur ce nouveau tapis de couleurs tchèques, que l'on ne s'attendait pas forcément à trouver en Suisse. Chacun des tutti, à l'instar de la péroraison de l'Allegro initial, conduite avec un beau sens de l'effet, est l'occasion pour de faire sonner l'ensemble dont il est le chef depuis 2019. Exposé en solo dans la Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds, dont l'écrin acoustique le gratifie d'une proximité idéale, ou dialoguant frénétiquement avec le violon solo dans le Finale, l'instrument de Gautier Capuçon chante constamment, menant l'orchestre à un crescendo final scellant la hauteur de vue d'une interprétation véritablement cinémascopique. En bis l'interprète fait découvrir à son public un extrait de son dernier disque (Gaïa) sur le berceau duquel se sont penchées, de Joe Hisaishi à Max Richter, quelques fées en vogue, dont Bryce Dessner : son superbe (et très glassien) Towards the forest étreint comme du Bach.

Après l'entracte, l'ESN ne démérite à aucun moment de ce qu'il reste ce soir de Má Vlast, cette partition emblématique où le patriotique pourrait être suspecté de vouloir l'emporter sur l'inspiration. De la Bohême autrichienne à la Tchéquie de 1992, en passant par la Tchécoslovaquie de 1918, le monde a effectivement changé, mais Má Vlast (composé par un Smetana devenu sourd, sauf aux aspirations humanistes) est toujours là, avec son inspiration visionnaire du plus haut niveau, qui réussit en musique sur cinq années (la composition s'étala de 1874 à 1879) ce à quoi la politique s'évertua sur des siècles à donner réalité : l'utopie de l'unification.

Dès les premières notes à la harpe du splendide Vyšerhad introductif, Victorien Vanoosten capte parfaitement la bouillonnante feria orchestrale de l'œuvre : mélancolie des bois, cors toujours irréprochables, cordes très à l'aise dans la transition fuguée. Ciselé de sa source à Prague (le petit rallentando avant le mariage paysan, les saillies acidulées du piccolo sur les rapides de Saint-Jean), Vltava (La Moldau) est ce soir encore la merveille dont on ne se lasse pas. Sur le plus méconnu Šárka (consacré à la célèbre guerrière bohémienne), les cors se lâchent dans la rythmique implacable impulsée par la direction.

Rude tâche ensuite pour le chef de parvenir à panser les plaies collatérales de l'abandon d'une des deux pièces les plus connues de la partition (Par les prés et les bois de Bohême), et du ténébreux Tábor (évocation de la période hussite), ce qu'il réussit presque au moyen de l'épiphanie musicale du peuple tchèque entrevue dans un Blaník final bouleversant, dont le retour galvanisant et unificateur du thème initial ne fait qu'enfoncer le clou du regret : dans un monde que l'on déplore régulièrement de voir s'étourdir de sa propre vitesse, de se laisser inféoder par la technologie, retenir vingt minutes de plus ses spectateurs est-ce aujourd'hui un pari devenu si insensé ? Ce manque d'audace bien relatif a en tout cas privé la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds d'une soirée que l'on aurait été tenté de qualifier d'historique. Même couplé au Concerto pour violoncelle de Dvořak, une intégrale de Má Vlast, dans cette acoustique mythique et avec une phalange aussi avisée, ça vous aurait eu un autre panache. Smetana pensait que son œuvre devait être donnée dans les grandes occasions (Má Vlast ouvre chaque année le festival Printemps de Prague). À La Chaux-de-Fonds c'eût pu en être une…

Crédits photographiques : © Anne-Laure Lechat

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La Chaux-de-Fonds. Salle de Musique. 26-XI-2025. Antonín Dvořak (1841-1904) : Concerto pour violoncelle. Bedřich Smetana (1824-1884) : Má Vlast (Ma patrie), six poèmes symphoniques. Gautier Capuçon, violoncelle. Ensemble Symphonique Neuchâtel, direction : Victorien Vanoosten

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