Aux Volques, un face-à-face étonnant entre Rebecca Saunders et Ravel
À Nîmes, l'aventure des Volques emmenée par sa directrice Carole Dauphin se poursuit, le festival invitant cette année, au côté de la musique de Maurice Ravel, la compositrice britannique Rebecca Saunders.

Si le rapprochement des deux univers sonores ne va pas de soi, des liens se nouent, en profondeur, que dévoile un programme entretenant le dialogue entre les deux esthétiques.
« Écrire de la musique passe par l'expérience physique du son », prévient la compositrice qui, dans ses titres autant que dans sa musique, nous parle du corps – souffle (Hauch II), respiration (Breath) – et du silence dans le lequel naît et retombe le son. Sur le plateau du Théâtre Ligier, Fury pour contrebasse à cinq cordes sous le geste voltigeur de Caroline Peach, est une succession de décharges énergétiques s'inscrivant sur une trame silencieuse. Le discours est fragmenté et les contrastes saisissants, entre la violence de l'archet qui percute la corde et le raffinement du spectre sonore que l'interprète fait advenir sur son gros instrument, créant une tension extrême. La ligne hésite, glisse, vacille dans Hauch II (2018-2021) pour alto, une pièce en demi-teinte qui balance entre son et bruit, un frisson sensuel que fait circuler Carole Dauphin dans une interprétation aussi sensible qu'intériorisée. La compositrice est dans les rangs du public et vient saluer sans pour autant s'adresser de vive voix à l'assemblée, laissant à Arnaud Merlin et aux jeunes étudiants de culture musicale du Conservatoire de Nîmes le soin de parler de sa musique.
Ravel en miroir

Raffinement du timbre et sensualité de la ligne chez Saunders comme chez Ravel : des qualités qui s'entendent d'emblée dans la Vocalise en forme de Habanera, un bon échauffement vocal sur rythme syncopé pour la mezzo Isabelle Druet, fort sollicitée dans ce concert aux dominantes vocales. Son investissement est total dans les Trois poèmes de Mallarmé, chef d'œuvre de 1913 où l'écriture s'émancipe du langage tonal au bénéfice des textures et du timbre que prodigue l'ensemble instrumental au côté de la voix. Soupir est un bijou délicatement ciselé où la ligne vocale acquiert toute sa liberté. La prosodie est soignée, servie par la diction claire d'Isabelle Druet et la sensualité d'un timbre superbement épanoui (Placet futile). À la direction, Raphaël Merlin, dont l'oreille fine fait des merveilles, dose les sonorités et entretient l'équilibre subtil entre voix et instruments.
Isabelle Druet est au côté de Jean-François Heisser dans les Histoires naturelles sur les poèmes de Jules Renard, autre chef d'œuvre de Ravel dont l'interprétation des deux musiciens complices ravit : humour et gestes suggestifs chez Isabelle Druet pour donner corps et vie aux volatiles avec autant de nuances dans la diction que de couleurs dans la voix. Le jeu de Jean-François Heisser n'est pas en reste, à l'affût des moindres saillies sonores pour dialoguer avec la voix et peaufiner l'évocation.

Le son du Guarnerius de Renaud Capuçon est superbe mais un rien lisse, qui reste toujours à côté de celui, plus chaleureux et incarné, du pianiste dans le premier mouvement de la Sonate pour violon et piano M77 de Ravel. Le jeu de jambes du violoniste est-il vraiment adéquat, qui donne carrément du talon dans un Blues central un peu guindé quand le troisième mouvement (perpetuum mobile) déroule sans faillir son continuum où s'exerce pleinement la virtuosité du violoniste en phase avec un partenaire toujours très à l'écoute.
Le concert s'achève avec les sonorités lascives des Chansons Madécasses que Ravel envisage comme « une sorte de quatuor où la voix joue le rôle d'instrument principal ». Entre langueur et cri de révolte (Aoua !), l'œuvre découvre d'autres facettes du talent d'Isabelle Druet, au plus près du texte (Nahandove) et de la sonorité de ses partenaires (la flûte de Marion Ralincourt, le violoncelle d'Ariane Lallemand et le piano d'Anatole Comps). Ravel sait rester sobre, malgré la volupté inouïe du texte, et termine (« Il est doux ») dans un grand dépouillement sonore qui n'est pas sans rappeler la fin de Hauch II de Rebecca Saunders.
Échos beckettiens
Épure et dépouillement se retrouvent dans Stirrings still (2006) de Rebecca Saunders, un titre qu'elle emprunte à Samuel Beckett, l'un de ses auteurs de prédilection. Sur la scène toute neuve du Palais des congrès de Nîmes (inauguré la veille !) où se donne le concert de clôture du festival, les instruments sont spatialisés et le jeu à la marge du silence. Flûte alto, hautbois, clarinette et piano tissent une toile arachnéenne sous l'action de l'archet du percussionniste sur les crotales dont l'aura de lumière irradie l'espace.
Breath (2018-2023) pour deux violons (Aude Perin-Dureau et Perceval Gilles) rejoint et enrichit l'expérience de Hauch II. Flottent dans un temps suspendu et un espace raréfié les deux lignes instrumentales aussi souples que capricieuses, qui s'interrompent, fluctuent, se rejoignent et divergent à nouveau, comme dans le théâtre de Beckett où les personnages dialoguent sans la cohérence du discours, dans un espace-temps troué par le silence.

L'ample plateau du Palais des Congrès – dont les musiciens comme le public testent ce soir l'acoustique – est occupé à jardin par un rutilant set de percussions où dominent peaux et métaux. Dans Dust (autre référence à Beckett), une pièce qui s'inscrit dans le temps long (40 minutes), deux triangles géants surplombent la structure, que le percussionniste Morgan Laplace Mermoud met en mouvement et en résonance au début de l'œuvre. Dans Dust (Poussière), une pièce de 2017, l'interprète choisit son propre itinéraire, libre d'agencer à sa manière les huit modules qui constituent la partition. Clochettes, tiges de métal, ressorts, friction de l'archet sur les bords du tam sont autant de qualités de timbre explorées par la compositrice. Des instruments-signaux comme les triangles, le bol, la grosse cloche, semblent régler les étapes d'une cérémonie imaginaire. Aux instances lumineuses des métaux s'opposent l'impact mat des peaux souvent jouées à mains nues et le bourdon voluptueux de la superball passée sur la timbale. Morgan Laplace Mermoud vient sur le devant de la scène avec son bol tibétain dont la spirale sonore embrase l'espace. Plus sophistiquée encore est l'action de la plaque tonnerre faisant résonner par sympathie la caisse claire avec son timbre. Concentré et précis dans ses gestes et ses déplacements, Morgan Laplace Mermoud nous invite à une expérience d'écoute fascinante, entre matière et résonance, geste du performer et pouvoir de transcendance.
Ravel pour finir

L'affiche ravélienne reste essentiellement vocale, concentrée sur le répertoire des mélodies populaires du compositeur basque. Est réinvitée sur scène la mezzo-soprano Isabelle Druet et l'Orchestre des Volques sous la direction de Raphaël Merlin. Les Quatre chants populaires pour voix et ensemble (1910) précèdent les Deux mélodies hébraïques (1914) avec l'émouvant Kaddish, prière juive dont Ravel empreinte la cantillation mélismatique. Isabelle Druet et les musiciens des Volques referment vaillamment cette sixième édition du festival avec les Cinq mélodies grecques (1906), aussi courtes que savoureuses, chantées par la mezzo en français sous la conduite exemplaire de Raphaël Merlin.
Le rendez-vous est pris pour décembre 2026 avec un double portrait Brahms/Verunelli.










