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L’École-en-Bauges. Église Saint-Maurice. 31-VII-2014. Ludwig van Beethoven, Sonate pour piano n°8 en ut mineur, opus 13, dite « Pathétique » ; Sonate pour piano n°17, en ré mineur, opus 31/2, dite « La tempête » ; Sonate pour piano n°14, en ut dièse mineur, opus 27/2, dite « Mondnacht [Clair de lune] » ; Sonate pour piano n°23, en fa mineur, opus 57, dite « Appassionata ». Avec François-Frédéric Guy (piano).
Lescheraines. Église Saint-Maurice. 1-VIII-2014. Ludwig van Beethoven, Sonate pour violon et piano n°5, en fa majeur, opus 24, dite « Frühling » ; Sonate pour piano & violon n°9, en la majeur, opus 47, dite « à Kreutzer » ; Sonate pour piano & violon n°10, en sol majeur, opus 96. Avec Tedi Papavrami (violon), François-Frédéric Guy (piano).
Le massif des Bauges est situé au nord de Chambéry, entre les lacs du Bourget et d'Annecy. Des petites communes, une moyenne montagne et des prairies vallonnées à perte de vue que dominent des sommets avenants constituent un territoire naturel parmi les plus beaux et les plus émouvants qui soient. Loin du clinquant dont s'affublent quelques vallées alpestres plus célèbres, ce massif dévoile volontiers ses trésors à qui s'abandonne à sa curiosité.
Pour sa seizième édition, l'itinérant festival Musique et nature en Bauges, qu'a fondé et que dirige Anthime Leroy, continue une ambitieuse politique artistique généraliste. Parmi les invités de cette année : Les Arts florissants, Les Éléments, Hopkinson Smith, Quintette-à-cordes du Berliner Philharmoniker, Vox luminis, Chanticler, Le Concert spirituel et le tandem Guy-Papavrami. La ferveur du public est patente : une demi-heure avant chaque concert, tous les sièges sont occupés et le concert pourrait déjà commencer. Musique et nature en Bauges honore toutes les significations du mot « festival ».
En 1998, dès son premier disque, François-Frédéric Guy s'attacha aux sonates de Beethoven.
Dix années plus tard, il en donnait une première intégrale, au Printemps des arts de Monte-Carlo et à l'initiative de son directeur, Marc Monnet. Depuis lors, ce corpus de trente-deux œuvres le suit et finit même par le précéder. Maître du tout, il s'attache désormais à individualiser chacune des trente-deux pièces. Pour ce récital du 31 juillet, il avait choisi les n°8, 17, 14 et 23, entrelaçant un équilibre des durées (par partie) et un élargissement progressif des horizons créatifs. Le suspense qui précède tout récital des beethoveniennes sonates tient à cette énigme : parmi toutes les originalités et fulgurances de ce corpus, lesquelles l'interprète privilégiera-t-il ?
La Sonate pour piano n°8 en ut mineur est le premier monstre des trente-deux sonates : une cyclicité thématique l'unit en ses trois mouvements (presque quatre, tant le premier débute par une longue section lente). À la tension qui l'anime (une ravageuse urgence expressive contre une volonté que l'instrument rende gorge de toutes ses ressources), François-Frédéric Guy a ajouté une pensée du temps et un travail harmonique très anticipateurs : notamment dans le formant médian, Beethoven s'y fait Wanderer schubertien.
Dans la Sonate pour piano n°17, en ré mineur, il n'est plus question de jeu mais de drame. François-Frédéric Guy délivre une urgence expressive – peut-être celle du
contemporain « testament d'Heiligenstadt » – qui relègue, au rang d'accessoire, toute préoccupation formelle. Pourtant, rien de l'écriture n'est oublié : dans le premier formant, Beethoven déchiquète le matériau mélodique qu'il expose au début, tandis que le cantabile de l'Adagio surgit trop brutalement pour être serein et que le monothématique Allegretto final est un cercle immobile, anxiogène.
Seconde des deux sonates que Beethoven a sous-titrées Quasi una fantasia, la Sonate pour piano n°14, en ut dièse mineur trouve ici une profonde singularité : l'objet n'est pas d'écrire mais de fantasieren (improviser), de se laisser guider par des doigts débridés et de contrôler a posteriori. À noter : dans le premier mouvement, la célèbre mélodie hésite entre un lambeau de choral et un lointain campanaire, comme dans Le Gibet de Gaspard de la nuit.
Enfin, avec la Sonate pour piano n°23, en fa mineur, il fut manifeste que Beethoven avait accédé à des territoires jusqu'alors inconnus ; au point que le compositeur se montra fier cette sonate, baptisée avec son assentiment, d'Appassionata. Certes la tension de l'Allegro assai (les impétueux gestes pianistiques, qui heurtent le discours musical, deviennent, eux-mêmes, des objets thématiques) est là. Certes l'Andante con moto offre une variation-trajectoire d'autant plus exceptionnelle que Beethoven en a bloqué l'harmonie. Et l'Allegro ma non troppo final dépasse, en urgence, le formant initial. Toutefois, François-Frédéric Guy offre un art des enchaînements organiques et, plus encore, sa conviction que, jusqu'à son dernier souffle, Beethoven allait composer, non plus des œuvres mais des processus.
Formé en 2011 (toujours à l'initiative de Marc Monnet et du Printemps des arts de Monte-Carlo), le tandem Tedi Papavrami et François-Frédéric Guy est une partie du « Beethoven Project » qui, avec Xavier Philips, propose trois intégrales : sonates pour piano, sonates pour violon et piano et trio pour piano, violon et violoncelle. Pour ce concert du 1er août, trois des dix sonates pour violon et piano sont au programme.
Les interprètes de ce concert ne le clament pas à forte voix mais ils rendent manifeste que, au regard du genre « sonate pour violon et piano », il y a un avant et un après Beethoven.
Également, ils rappellent une double évidence : le propre de ces sonates est de négliger la fusion pour établir des tensions entre les deux protagonistes et ainsi créer d'innombrables espaces intérieurs ; et, si Beethoven « parlait » spontanément les pianos de son temps, il regarda toujours le violon comme distant de lui, quoiqu'il eût appris à en jouer (notamment auprès d'Ignaz Schuppanzigh). Enfin, ils font saillir que, au moment de composer les neuf premières sonates, Beethoven avait ouvert un gigantesque chantier où il avait accueilli l'hétérogène (autant le vieux contrepoint et l'art haydnien que le bel canto italien et la musique révolutionnaire française). Autrement dit, Tedi Papavrami et François-Frédéric Guy ont épanoui tous ces enjeux essentiels, tout en maintenant l'unité formelle de chacune de ces trois sonates. Le lyrisme et, le cas échéant, l'héroïsme, n'avaient plus qu'à surgir d'eux-
mêmes.
Dans la Sonate pour violon et piano n°5, les deux interprètes ont créé une vive tension entre la clarté tonale (le fa majeur domine) et des emprunts aux outils de l'orchestre (gammes fulgurantes, tenues empruntées aux bois et aux cuivres) pour densifier leur sonorité et leur projection globales.
Puis, dans la Sonate pour piano & violon n°9, en la majeur, dite « à Kreutzer », Tedi Papavrami et François-Frédéric Guy ont élargi leur souffle, tant Beethoven pensa cette œuvre en très grand (trois mouvements en trente-cinq minutes). Là encore, ils ont présenté cette exposition de formes (une forme sonate théâtralisée, qui regarde nettement vers Fidelio et la Symphonie n°3, alors en chantier ; un admirable travail de variation-métamorphose, où le thème demeure à portée de vue ; enfin, un contrepoint de motifs et de rythmes, source de duels complices entre les deux interprètes) mais n'ont jamais perdu l'unité de l'œuvre.
Enfin, la Sonate pour violon et piano n°10, sonna comme un écho à la Sonate pour piano n°23, jouée la veille. Tedi Papavrami et François-Frédéric Guy ont joint leur voix à la radieuse pensée de Boucourechliev lorsqu'il affirma : « la mélodie, au sommet de la hiérarchie chez les classiques, perd avec Beethoven son leadership, ou, si l'on préfère, son rôle de véhicule principal de l'expression musicale. […] elle est reine déchue dans la « république » du langage beethovenien, ou, du moins, reine sous surveillance ; elle n'apparaît qu'en tel lieu et place où on l'appelle à exercer ses pouvoirs. »
La complicité de ces deux musiciens a été remarquable, tant ils parlent et chantent la même langue et tant leur intelligence rythmique est souveraine. Au sens le plus exhaustif du terme, ils sont d'impeccables et profonds lecteurs de textes, tels, au théâtre, Stéphane Braunschweig ou Christian Schiaretti. Tedi Papavrami offre des sonorités pleines, n'hésitant pas à jouer un volubile violon que Christian Bayon a récemment construit pour lui. Quant à François-Frédéric Guy, il se situe à la même altitude que la veille ; lui aussi a joué un magnifique instrument, un Steinway choyé par la firme Véran (elle se situe à la même altitude qualitative que ses alter ego parisiennes).
Crédits photographiques : François-Frédéric Guy © Benjamin de Diesbach; Tedi Papavrami © Cyrille Guir
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L’École-en-Bauges. Église Saint-Maurice. 31-VII-2014. Ludwig van Beethoven, Sonate pour piano n°8 en ut mineur, opus 13, dite « Pathétique » ; Sonate pour piano n°17, en ré mineur, opus 31/2, dite « La tempête » ; Sonate pour piano n°14, en ut dièse mineur, opus 27/2, dite « Mondnacht [Clair de lune] » ; Sonate pour piano n°23, en fa mineur, opus 57, dite « Appassionata ». Avec François-Frédéric Guy (piano).
Lescheraines. Église Saint-Maurice. 1-VIII-2014. Ludwig van Beethoven, Sonate pour violon et piano n°5, en fa majeur, opus 24, dite « Frühling » ; Sonate pour piano & violon n°9, en la majeur, opus 47, dite « à Kreutzer » ; Sonate pour piano & violon n°10, en sol majeur, opus 96. Avec Tedi Papavrami (violon), François-Frédéric Guy (piano).