Le Festival Palazzetto Bru Zane Paris poursuit son hommage à Georges Bizet né il y a 150 ans avec un récital à l'auditorium de la Cité de la Musique rassemblant ses mélodies et celles de ses contemporains. Superbe répertoire sorti de l'oubli par le ténor Reinoud Van Mechelen, qui montre ici une nouvelle facette de son talent.

Désuètes? Pas le moins du monde depuis que le ténor belge connu pour la multitude des rôles qu'il incarne brillamment dans le répertoire lyrique baroque, s'en est emparé, après une récente incursion chez Mozart. Les mélodies françaises – et en langue française – très en vogue au XIXᵉ siècle, formant contre-poids au lied allemand, reprennent du galon grâce à lui et aux recherches perspicaces du Palazzetto Bru Zane, après avoir longuement sommeillé au fond d'armoires. Autour de celles de Georges Bizet, certaines issues de réemploi de pages lyriques, celles de Pauline Viardot, mais aussi de Franz Liszt sur des poèmes français et du protégé de ce dernier, Eduard Lassen, compositeur d'origine danoise ayant grandi à Bruxelles depuis sa prime enfance. Inconnu du grand public, on doit son heureuse découverte ce soir-là à l'initiative de l'interprète qui est un familier de ses pièces vocales.

C'est un très beau programme que nous propose Reinoud Van Mechelen, sous, telle une invite, l'insigne « Aimons, rêvons », titre d'une des mélodies de Bizet qui en fait partie. L'amour en est le fil conducteur, du « Matin » au « Soir », dans toute la déclinaison de ses émotions. Composées sur des pages poétiques que l'on doit pour leur majeure partie à Victor Hugo, mais aussi à Pierre de Ronsard, François Coppée, Paul Ferrier… elles révèlent, quelle que soit la plume, une écriture musicale élaborée, où piano et voix sont de véritables partenaires expressifs, l'instrument ne se contentant pas seulement d'accompagner.

Projetant l'éclat de son timbre radieux aux couleurs d'une grande richesse sur toute sa tessiture, le chanteur capte notre écoute dès Le Matin (dont le thème est emprunté à la pastorale de l'Arlésienne) première mélodie de Bizet qu'il interprète avec beaucoup de finesse et une grande agilité. Rien de tel que sa personnalité solaire pour donner un lustre nouveau à ces mélodies, leur insuffler vie surtout ! La diction impeccable, le chant facile d'un registre à l'autre jusqu'en voix de tête,  le vibrato finement étudié, il trouve pour chacune d'elles la fraicheur, le ton qui lui sied, le sentiment, l'atmosphère la vitalité qui lui sont propres. Ainsi sa voix frémit dans les enivrants vertiges du mouvement de valse d'Aimons, rêvons ! (Bizet). Ainsi elle s'épanouit, ardente, intense, dans la passion d'En passant (Lassen), mais devient caressante et doucement enveloppante lorsqu'il murmure « pour un regard de vous », puis « pour un baiser de toi » (Enfant, si j'étais roi – Liszt). On savoure la délicieuse pudeur de La Coccinelle (Lassen), contée avec humour. Le ténor déploie un large éventail de nuances dans Oh! quand je dors (Liszt), passant graduellement d'une tendre sensualité à l'ardeur extrême, pour prononcer à la fin avec une délicatesse infinie « pose un baiser et d'ange deviens femme ». Gentilles hirondelles de Viardot s'envole dans la grâce et la générosité de l'expression, tandis que l'on s'abandonne au doux bercement de son Chant du soir, avant les émois de La Nuit (Bizet) qui clôt le récital.

Reinoud Van Mechelen peut compter sur sa complicité avec le pianiste Anthony Romaniuk, qui discret mais attentif et efficace, souligne ou répond aux intentions expressives du chanteur. Son jeu fluide et fin se révèle également dans deux pièces pour piano formant intermèdes, La Lugubre gondole S.200 n°1 de Liszt, aux harmonies fantomatiques, et plus loin, la Mazurka op.50 n°2 de Chopin.

En bis, le chanteur propose, sous forme de vœu pour l'avenir, une devinette… qui ne le reste pas longtemps ! On reconnait évidemment dès la première note « La fleur que tu m'avais jetée », l'air chanté par Don José dans Carmen. Son vœu puisse-t-il être exaucé !

Crédits photographiques : © Jany Campello