Glass Gaze : Envoûtantes Études, envoûtantes guitares
Après avoir séduit nombre de pianistes, les Études de Philip Glass, parues en 2010, retrouvent déjà une nouvelle jeunesse sous les doigts des guitaristes Roxane Elfasci et Baptiste Erard.
La musique de Glass est souvent adaptée avec bonheur pour d'autres formations que celles prévues au départ, et ce parfois par le compositeur lui-même, désireux d'offrir de nouveaux écrins à ses mélodies les plus inspirées : ainsi en va-t-il de l'émouvante Métamorphosis II orchestrée dans les films The Thin Blue Line et The Hours, ou de l'irrésistible Étude n° 6 orchestrée et même chantée dans le Persephone en collaboration avec Bob Wilson.
Dès leur parution en 2010, les 20 Études de Philip Glass sont très vite devenues un cas à part dans la production du compositeur. Et plus encore en cette mémorable année 2020 où ces pièces, dont Glass lui-même affirme que « tout le monde peut les jouer« , ont fait office de baume providentiel du repli sur soi alors intimé par les dirigeants de la planète. Ce fut exactement le cas des deux interprètes de ce disque, les guitaristes Roxane Elfasci et Baptiste Erard qui, tombés sous le charme de l'Etude n°16, ont eu immédiatement envie de la transposer pour leur instrument respectif. Ne se séparant plus depuis de l'intégrale des Études qu'ils disent écouter en boucle (rappelons qu' il en paraît grosso modo une par an !), les voici à leur tour atteints de ce que l'on pourrait qualifier de syndrome Vanessa Wagner dont l'aveu « Les Études de Philip Glass ont révolutionné ma vie de pianiste » a quelque peu secoué le petit monde du clavier. Leur vie de guitariste a également changé, qui inclut dorénavant dans la programmation de leurs concerts ces pièces d'une inépuisable richesse que l'on ne saurait trop recommander une fois encore aux plus farouches détracteurs du compositeur.
Le disque fait entendre seulement douze études. Un regret aussitôt consolé par une joie quasi sans mélange : s'il n'y manquait la merveilleuse et si schubertienne Étude n°12, on saluerait sans arrière-pensée l'intelligence d'un choix qui a pris soin de garder les plus belles pièces: les n°1, 6, 8, 17, 20 et bien sûr la n°16, à l'origine de Glass Gaze (traduisez : Regard de verre, Regard sur Glass…)
Si les plus belles études sont presque toutes données avec leurs reprises, ce n'est pas le cas de la plupart des autres, suppression qu'on ne déplorera pas non plus tant aucune d'elles n'y perd, même pas l'Étude n°7 pourtant réduite de moitié. Ce qu'on regrettera en revanche, c'est que cette gestion ultra-pensée des reprises n'a pas conduit (Glass Gaze dure à peine 1h) à l'idée d'une intégrale en un seul disque, ce qu'avait osé Nicolas Horvath en réduisant en moins de 90 minutes un corpus dont l'intégralité avoisine les 2h15. La chronologie initiale n'est pas non plus respectée, mais la cohérence du nouvel enchaînement convainc, toujours ouvert par l'ambassadrice idéale qu'est la Première Etude mais conclu par la crépusculaire Seizième, dont le piquant grupetto réparti entre les deux mains n'est pas loin de faire accepter l'idée que les Études de Glass auraient été composées à l'origine pour les guitares de Roxane Elfasci et Baptiste Erard.
Dès l'Étude n°1, voici donc la plus universaliste peut-être des musiques contemporaines parée de couleurs inédites, hispanisantes notamment, ce qu'on n'avait jamais imaginé en écoutant les intégrales de Maki Namekawa, de Jeroen van Veen, de François Mardirossian (Ad Vitam) ou de Maciej Gański (Dux), pour s'en tenir aux plus fameuses. Bien qu'utilisant des techniques venues du flamenco, comme le rasgueados, et une percussion très présente, le détournement, d'une liberté de ton inouïe, ne tourne jamais au folklore ni à l'incongru, l'esprit des pièces originales, auréolé d'une inventive gamme de nuances, restant toujours le maître-mot en terme de rythme et de lyrisme.
En osmose totale avec les deux artistes, le travail très inspiré du percussionniste Théo Lamperier, toujours présent, jamais envahissant, merveille de dosage (l'Étude n°8), ose aussi beaucoup de son côté (des castagnettes sur l'Étude n°17!) pour offrir une infinie variété d'atmosphères et parachever en beauté la naissance de ce disque envoûtant.









